L’avion embarque, outre le détachement FAé, une dizaine de paras-commandos et un véhicule blindé.
Nous décollons dans cette
purée de pois qui va se dissiper quelques centaines de kilomètres plus
loin, et nous mettons le cap sur l’Egypte et sa capitale. Au
dessus de l’Autriche, le soleil brille et la vue des sommets enneigés
est magnifique. Il est 18 heures quand, après avoir survolé
la Méditerranée puis de longues étendues de sable, nous entamons la
descente sur l’aéroport mixte du Caire.
Nous venons de parcourir quelques 3.800km en un peu plus de 12heures. Durant l’atterrissage quelques
photos des épaves militaires et civiles
qui trainent à droite de la piste, sont prises à la sauvette à travers
le hublot. Comme le C-130 transporte des armes, nous sommes cantonnés
loin des bâtiments de l’aérodrome et avons juste le droit de sortir aux
abords de l’avion, et ce, sous la surveillance de soldats égyptiens
biens armés.
Commencent alors pour le Commandant de bord de longues tractations pour
l’approvisionnement en fuel. Les Egyptiens exigent de l’argent
liquide, le Cdt ne peut payer qu’avec une carte de crédit de la
Défense. Beaucoup de temps
sera perdu avant que notre appareil soit enfin ravitaillé. Il faut
aussi revoir le plan de vol et programmer une halte de nuit à Djibouti,
ce dont s’occupe sur place le Commandant du Détachement Logistique de
l’Armée, prévenu par radio. Suit un long survol du désert,
après avoir croisé le Nil à deux reprises et avoir aperçu de nuit
Louxor, énorme point lumineux dans cette partie désertique, l’équipage
pose le CH-11 à minuit et 5 minutes. Les formalités accomplies nous
rejoignons harassés l’hôtel qui nous est
désigné. Après une nuit de repos bien nécessaire pour l’équipage, nous
regagnons la partie civile de l’aéroport de Djibouti où on me laisse
quelques
minutes pour photographier les avions présents sur le tarmac, pendant
que le mécanicien de bord procède à une vérification
des moteurs. Il y a là, entre autres,
un P3C Orion de la VP-10 de l’US NAVY (cet avion est aujourd’hui sous cocon à Davis
Monthan),
un Ilyushin IL-18 de la Compagnie russe AEROFLOT (la rumeur prétend que
la compagnie Russe transporte essentiellement des ballots de khat, une
drogue euphorisante et stimulante en feuille à mâcher, d’Ethiopie vers
la Somalie) et un CESSNA Caravan de la Namibian Commercial Aviation
affrété dans le cadre
du World Food Programme.
Pas de chance !, au moment où je grimpe dans le C-130, deux
Mirage F-1 de l’Armée de l’Air française portant un camouflage désert
arrivent: pas le temps de mettre le zoom, tant pis, vite une photo qui
hélas s’avérera floue, m…. ! Nous sommes repartis
pour 3 heures de vol et survolons une partie de l’Ethiopie, nous
atteignons enfin Kismaayo où nous sommes attendus par les
représentants militaires belges participant à Restore Hope(1). Après un
circuit en parallèle à la piste qui nous permet de voir les
installations, le CH-11 effectue un atterrissage court puis est dirigé
vers le grand parking devant l’aérogare.
Nous y rejoignons le Colonel Jacqmin, chef des opérations pour la région de Kismaayo. Ici, Belges et
Américains cohabitent et
effectuent
en permanence des patrouilles de surveillance des installations, tant
sur terre qu’en mer. A quai, la
Frégate de commandement et de soutien logistique de la Marine belge,
A961 Zinnia, assure l’intendance. Le bateau sert de garde-manger géant
et offre quotidiennement du pain frais et des repas chauds ainsi que,
grâce à un procédé de désalinisation, de l’eau potable à raison de plus
de 25.000
litres par jour aux troupes belges occupant le port et les campements
des environs. A bord, il y a également un hôpital bien équipé avec un
dentiste fort sollicité par les Américains. Le Zinnia effectue toutes
les deux semaines et demie un aller-retour (4 jours au total)
vers le port de Mombassa au Kenya pour se réapprovisionner en
victuailles fraîches. Embarquée au départ de Zeebrugge, une Alouette
III sert d’hélicoptère de liaison et d’évacuation sanitaire.
Les véhicules sont également entretenus dans des installations
sommaires mises en place dans les bâtiments encore debout. Retour à
l’aéroport, qui s’avère être sous haute protection, où les
Américains nous ont dégagé un (très) peu de place dans un local de
l’aérogare pour installer les lits de camp qu’ils nous prêtent. Il faut
dire que le deuxième C-130 qui doit amener le matériel restant
pour le détachement FAé., dont le groupe électrogène et les lits est
retardé au lendemain. A cette époque, pas question d’hôtel ou de
containers de logements; l’installation est très spartiate : il
n’y a plus de fenêtres ni de portes dans
ce bâtiment aéroportuaire qui a fortement souffert des combats.
Une petite faim se fait sentir et les boîtes de survie, les conserves
de saucisses aux haricots sauce tomate ou les raviolis …sauce tomate
encore sont ouvertes et réchauffées sur un petit butagaz : c’est
le premier repas chaud depuis le départ de Melsbroek.
La nuit tombe vite en Afrique et pour passer le temps quelques-un
vont voir un film vidéo avec Arnold Schwartzenegger
projeté par les Américains sur un grand écran extérieur, tandis que les
autres discutent du planning et de l’organisation du lendemain ou
préparent le matériel radio. La nuit sera courte et animée…les Rangers
rentrant de patrouille traversent notre local, cliquetis d’armes et
bruit sourd des bottines
au menu, et vers 5 heures du matin les opérations aériennes reprennent.
Au petit matin, je fais un tour des installations et en profite pour
‘’tirer’’ les Marchettis du Somalian Air Corps dégagés du parking au
bulldozer et réduits en autant d’épaves. Ces avions,
trois SF 260C (bleu et blanc) et quatre SF 260W (camouflés) étaient en
très bon état et avaient encore un bon potentiel de vol, mais les
Américains ne s’encombrent pas de choses qui ne les intéressent guère.
Les moteurs avaient été récupérés par des Sud-Africains qui ont
flairé la bonne affaire et, les tableaux de bord vidés de leurs
instruments, autant de souvenirs emportés par les soldats. Prés de la
tente d’un Colonel Américain, git le fuselage d’un Mig 15 portant
cocarde somalienne dont
le siège a été enlevé et sert de ‘’
fauteuil’’
à l’officier. Plus loin, un Canberra éthiopien (ils en avaient reçu
quatre en 1968 provenant des stocks de la RAF),
cassé en deux. Cet appareil utilisé pour des missions de
bombardement
serait
arrivé là avec aux commandes un pilote déserteur. C’est dans ce cockpit qu’un para belge actionnera la poignée du siège
éjectable, qui malheureusement était toujours armé, et perdra la
vie. De nombreux véhicules complètement démantelés traînent également
aux
quatre coins de
l’aéroport. En me rendant vers la zone où sont stationnés les
hélicoptères UH -60 Black Hawk, je croise un motard pas comme les
autres : c’est un Ranger qui, armé d’un fusil mitrailleur,
effectue dès qu’un avion est annoncé une ronde sur la piste. Si
nécessaire, il tire en
l’air pour chasser les rapaces ou les chameaux qui y circulent et, qui
représentent autant de dangers pour les avions qui se posent. Les Black
Hawk assurent des
missions d’appuis pour les troupes au sol, transportent les patrouilles
là où il le faut et emmènent des prisonniers vers le quartier général
de Mogadiscio.
Il y en avait souvent 6 ou 7 sur le tarmac, dont certains de deux
mitrailleuses de 7,62mm. Un peu plus loin, hors de la zone de
stationnement des avions, des hélicoptères Cobra et leurs munitions
attendent les prochaines sorties opérationnelles. Ils peuvent
être appelés à tout moment et les équipages sont en ‘’stand by’’ sous
tentes près des machines. Le Cobra est équipé d’un canon Vulcan rotatif
de 20mm de
calibre, il peut emporter des missiles antichars Tow, des air-sol
Helfire ou des pods roquettes.
Lorsque les missions le nécessitent, des OH-6A Cayuse viennent
en renfort (ils sont visibles sur la prise de vue aérienne des
installations). Opérant de concert avec les hélicos de combats, ils
forment les ‘’Pink Teams’’, les OH-6A
ouvrant le bal en repérant et identifiant les cibles qui sont marquées
aux fumigènes. Mais, le plus gros des
mouvements enregistrés sur l’aérodrome, concerne bien évidemment les
avions de transport, Kismaayo étant une importante plate-forme pour
l’aide humanitaire du sud somalien. Y alternent tout au long de la
journée C-130 Hercules canadiens et américains, HS-748 MF Andover de la
Royal New Zealand Air Force, avions de liaison de l’ONU, du Comité
International de la Croix Rouge et L100-30 Hercules de la compagnie
civile US Southern Air Transport.
Pour ces derniers, il se dit que l’affréteur principal serait la
CIA…et qu’ils transportent autre chose que de l’aide
humanitaire. Tous ces avions, dont la plupart étaient basés à
Mombassa, amenaient des vivres, de la logistique, du courrier, des
médicaments et assuraient
les transferts de troupes. Coté belge, une rotation de C-130 entre la
Belgique et Kismaayo est assurée tous les deux jours et, régulièrement
le Hercules opérant
depuis Mombassa amène du fret pour les militaires belges et les alliés.
Depuis l’aéroport kényan, les Hercules de la 20
ème Escadrille assurent également des missions
d’approvisionnement
des populations somaliennes peu ou pas accessibles par la route, et
font parfois un crochet par Kisimaayo. Assurant
également des vols de liaisons ou d’évacuations sanitaires, une
Alouette II de l’Aviation légère de la Force
Terrestre est régulièrement présente sur le tarmac. La grosse
surprise aura été l’arrivée bruyante d’un C-5 Galaxy qui a
fortement secoué le paysage et…quelques tentes implantées près de
la voie de roulage.
transport peut
emporter 136.080 kg de charge avec un rayon d’action de 5525 km. Les
vivres et médicaments sont abrités dans un hangar bien gardé et le
chargement des camions est surveillé. Après quelques jours dans cet
environnement inhabituel, j’accompagne un vol vers Mombassa devenue
plate-forme opérationnelle pour les avions de transport alliés. C’est
l’occasion de faire un survol du port et de voir les campements
militaires établis aux alentours.
Aux commandes du CH-12 le Major Jean-Luc Feuillen, vieille connaissance, qui fut un temps avec le
Commandant Xavier Elleboudt présentateur du display C-130. Sur le
tarmac, il y a, outre les Belges, quelques C-141 Starlifter et C-130 de
l’USAF, dont une version gunship
qu’on ne peut approcher, ainsi qu’un Transal français. Ici la vie est
assez différente, les équipages logent dans un bel hôtel situé au bord
de l’Océan Indien,
avec tout le confort qui en résulte. Ce n’est pas un luxe superflus,
les équipages ayant fort à faire lors des missions de largage de vivres
dans les zones
reculées et les atterrissages sur des pistes en latérite sont ardus et
fatigants pour les pilotes.
Le dernier mot revient aux mécanos qui opèrent à même le tarmac sous un
soleil de plomb et des températures avoisinant les 40°.
Remplacer un moteur dans ces conditions représente une grosse dépense
d’énergie et de transpiration !
Le travail des loadmaster et du peloton RAVAIR détaché en Afrique n’est
pas de tout repos non plus.
Malheureusement l’heure du retour est arrivée et c’est en compagnie du
Commandant JP. Hermand qui effectue ce jour sa dernière
mission, avant une retraite bien méritée, que je rentre au pays par un
long vol entrecoupé d’une courte étape à
Héraklion en Crète. Le C-130 se posera vers 0heures35, après 14
heures de vol. Un reportage dont les multiples souvenirs,
essentiellement humains, resteront gravés dans ma mémoire. La Force
Aérienne est une grande famille, j’ai pu a l’occasion de cette mission
mesurer
la pertinence de cette affirmation. Good show folks.
Suite aux conflits entre chefs de guerre qui déstabilisent complètement le pays et la famine qui s’ensuit, l’ONU décide par la
résolution 751 du 24 avril 1992 de créer une opération des Nations Unies
en Somalie appelée ONUSOM. Elle sera composée de 960 personnes dont 53
à titre d’observateurs. La résolution 755 permet une extension de la
mission
mais ne renforce pas les effectifs. L’ONUSOM ne parvenant pas à
rétablir la paix, la résolution 794 du 3 décembre 1992 entérine la
création d’une force
d’intervention sous autorité de l’ONU mais dont les troupes restent
sous commandement autonome des Etats y prenant part, l’UNITAF (Force
d’Intervention Unifiée). L’opération
Restore Hope débute le 9 décembre 1992 avec le débarquement hyper
médiatisé de quelques 25.000 militaires américains.
D’autres nations,
dont la Belgique, qui y enverra le 11 décembre 650 hommes (900 hommes
en mars 1993) se joindront à cette force la portant à 40.000 hommes
(30.000 US). Cela nécessita de
la part des Belges de recouvrir l’emblème de l’ONU porté par les
véhicules par les couleurs du drapeau national. Restore Hope sera
arrêtée en mai 1993 réduisant à 2.000 le nombre de soldats placés alors
sous le contrôle direct de l’ONU cela en parfaite conformité avec la
résolution 814 votée le 8 mars 1993. Jamais, la paix n’a pu être
rétablie en Somalie ; aujourd’hui encore les combats entres chefs
de
guerre y sont quotidien et la famine y règne toujours.