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TEA Trans European Airways
Luc Barry - Août 2020
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Peu avant la deuxième Guerre mondiale, la famille juive
Gutelman quitte la Pologne pour se réfugier en Belgique. Lors du
conflit, les enfants, dont Georges né en 1938, sont mis à l’abri dans
une
famille catholique de Liège. Malheureusement, seul son père revient du
camp d’Auschwitz.
Pour payer ses études à l’Université de Liège, le jeune homme
effectue divers petits boulots, le jour comme cueilleur de cerises et
la nuit à l’empaquetage de journaux. Son rêve
est de visiter les États Unis et il organise en 1958 un voyage pour
étudiants. Frustré que cette aventure soit annulée à la dernière minute
car l’avion n’est pas complet en terme de passagers, il décide de
prendre dorénavant en main ce type d’événement en organisant un second
voyage l’année suivante, avec un DC6 qu’il parvient cette fois à
remplir, ainsi que les années suivantes. Diplômé ingénieur civil,
spécialité
métallurgie en 1963, il se laisse convaincre par ses amis liégeois
Georges Pradez et Henri Mordant, présentateurs à la RTB de les
rejoindre mais la mentalité de fonctionnaire qui y règne ne lui plaît
pas et il rompt unilatéralement son contrat après trois mois, ce qui
entraîne un procès gagné par l’employeur et l’annulation du salaire. Il
retourne à ce qui le passionne depuis son adolescence, l’aviation
commerciale, et fonde sa propre agence de voyage TIFA (Transports
Internationaux de Fret Aérien). Cinq excursions sont organisées en
1964, de nombreuses autres les années suivantes et près de deux cent en
1970 au moyen d’un DC8 affrété vers les États Unis ainsi qu’au Japon,
lors de l’Exposition universelle d’Osaka, au profit d’une clientèle
universitaire européenne constituée principalement de français et
d’allemands.
Au début des années septante, les grandes compagnies aériennes
remplacent par des avions gros-porteurs les jets long- courrier de
première génération et ceux-ci se retrouvent nombreux
sur le marché d’occasion. Gutelman profite de cette opportunité pour
fonder à Liège sa propre compagnie aérienne, le 6 décembre 1970,
focalisée sur les vols charter européens: TEA-Trans European Airways.
Accompagné
de son ami d’enfance Jean Gol, diplômé comme lui de la même université
mais en droit, tous deux se rendent chez Boeing à Seattle pour négocier
l’achat et le financement d’un premier B720B baptisé plus tard "Aline"
du
nom de la femme de Georges. Le premier vol débute le 2 juin 1971 depuis
Bruxelles vers Cork en Irlande et suivent ensuite les charters vers les
destinations de vacances en Méditerranée principalement Palma
et Malaga pour le compte du tour-opérateur Sunair. Le succès est
immédiat au point que l’année suivante un deuxième B720B est mis en
ligne pour la fin de la saison d’été et un troisième est pris en
location pour une durée d’un an à partir de novembre 1979.
En 1973, une nouvelle opportunité se présente : Alain Delon
envisage le transport de vacanciers du Club Med en se procurant trois
anciens Boeing B707 d’El-Al. Malheureusement il n’obtient pas le feu
vert des
autorités françaises. Dégoûté, l’acteur français fait une croix sur
l’acompte qu’il avait déjà payé à Boeing. Mis au courant de cette
affaire, Gutelman en profite pour acheter les avions en bénéficiant de
la déduction de l’acompte! Au terme de l’été, quatre cent mille
passagers sont transportés et le chiffre est doublé à la fin de l’année
suivante.
La première femme-pilote de ligne en Belgique, Yvonne Cunha, est
engagée dans le courant de 1974 pour piloter les B707 et devient en
1977, toujours chez TEA, commandant sur B737-200. La crise du pétrole
de 1973
a pour conséquence une forte augmentation de son prix et la rentabilité
des anciens avions descend en chute libre, ce qui amène Goerges
Gutelman à prendre de l’avance sur ses concurrents en s’intéressant au
constructeur européen Airbus qui propose un tout nouveau moyen-courrier
à grande capacité de trois cent place.
En
octobre 1974, la compagnie
réceptionne son premier avion acheté neuf : il s’agit de l’un des deux
A300B1 sortis de la chaîne de production d’Airbus et premier avion
vendu par le constructeur à une compagnie aérienne charter. Cet avion
est immédiatement loué à Air Algérie pour les pèlerinages vers La
Mecque ainsi que les deux B720B suite à la reprise des contrats lors de
la faillite de Pomair. Il effectue son dernier vol le 25 novembre 1990,
ayant effectué trois mille cent et huit heures de vol en transportant
plus de sept million trois cent septante-trois mille passagers. Plus
tard, il est démantelé à l’aéroport. Un deuxième Airbus, de type
A300B4, renforce la flotte le 17 octobre 1975 en vue d’être loué à
différentes compagnies aériennes jusqu’à son retour chez Airbus en 1980.
Le Holding TEA, évalué à près de soixante milliard de BF en 1989,
dont Georges Gutelman est propriétaire à plus de nonante neuf pourcents
et seul actionnaire ne disposant donc pas de conseil d’administration,
crée ses premières filiales: TEA Tax Free Shops le 1er juin 1975 pour
la vente d’objets hors taxes à bord des avions et à différentes
escales, suivi de la première filiale TEA Holland, le 8 août mais
jamais démarrée suite au refus des autorités néerlandaises pour
concurrence déloyale à la compagnie charter Transavia.
Le premier des cinq B737-200 est livré en juin 1976 et ceux-ci
remplacent progressivement les B707 et B720, gourmands en carburant.
Les vols d’un
jour d’Anvers vers Lourdes et Jersey débutent pour la saison d’été et
se répètent pendant les saisons suivantes.
Suite à la création d’Air Belgium International en 1978, TEA doit
faire face à une importante réduction d’activité et à une baisse en
nombre de passagers;
l’A300B4 est retourné à Airbus tandis que plusieurs B737-200 sont loués
à d’autres compagnies pendant les périodes creuses de l’hiver.
TEA souhaite dans une première tentative commencer des vols
réguliers long-courrier dès 1979 mais s’attaque en vain au monopole de
la Sabena. Un B737-200 est loué d’Air Belgium une première fois en
novembre 1980 et
ensuite de mai à septembre 1982.
Une
étape important est franchie en septembre 1982 avec la création de
Teamco - TEA Maintenance
Company, branche technique du Holding installé dans un hangar neuf
construit à côté de Brucargo. Initialement, Teamco se charge de
l’entretien de la flotte TEA et d’une dizaine de compagnies tierces
telles que DHL, EAT, AMI, European Express, Eagle Air, Lufthansa, Air
Canada, Emery, Aero Lloyd pour la maintenance des Boeing B707, B727,
B737, Douglas DC8 et Airbus A300. Un contrat est signé en 1983 avec IAI
- Israël Aerospace Industry pour l’entretien et la modification de cent
cinquante hélicoptères Bell OH-58A Kiowa de la US Army, ensuite pour le
grand entretien des Sikorsky CH-53 Sea Stallion et Sikorsky S-61 Sea
King de la US Navy. Des contrats sont signés en août 1983 avec les
forces aériennes belge et danoise pour l’entretien des plateformes à
inertie qui équipent les F16.
En
1986 Teamco est choisie par l’US Army
pour l’installation d’un dépôt hélicoptères pendant une durée de 28
ans. Un an plus tard, celle-ci introduit une demande d’offre pour
le grand entretien pendant cinq ans mais renouvelable chaque année de
tous
ses hélicoptères basés en Europe. Ne désirant plus travailler avec IAI
qui à ses yeux profitait unilatéralement des bénéfices financiers de
l’opération, Teamco se met en partenariat avec Agusta et gagne face à
plus de cent cinquante concurrents le contrat TAMP en 1987 concernant
les Bell OH-58 Kiowa, UH-1 Iroquois et AH-1 HueyCobra. Trois hangars,
pouvant abriter soixante hélicoptères, en font l’un des plus grands
centres d’entretien d’hélicoptères en Europe mettant au travail cent
cinquante personnes.
Le
dernier B707 encore en service, OO-TED, effectue le 7 octobre 1984 son
vol final HE707 au-dessus de la
Belgique, pour les passionnés d’aviation. Deux B707 sont cependant pris
en location, l’un de mai 1984 à juillet 1989 et l’autre en provenance
d’Air Artic Icelandic de décembre 1984 à avril 1985.
Durant l’hiver 1984, lors de la grande famine en Éthiopie, des
juifs éthiopiens appelés Falashas fuient leur pays pour se réfugier par
milliers dans des camps au Soudan. Gutelman est contacté par un haut
responsable du Mossad israélien pour les évacuer d’urgence vers Israël
sachant que TEA dispose des droits de survol et d’atterrissage suite au
transport de pèlerins soudanais de Khartoum vers La Mecque.
Entre-temps, Israël obtient le feu vert de la junte soudanaise à
condition que l’opération reste secrète et que les avions passent par
un pays tiers - la Belgique- avant de rejoindre la terre promise
d’Israël. Jean Gol, ministre de la Justice, responsable de la Sûreté de
l’État, ainsi que Wilfried Martens, premier ministre et le personnel de
TEA, soit deux cent personnes, sont mis dans la confidence: l’Opération
Moïse est lancée. Le 21 novembre 1984, un premier B707 décolle
discrètement de Khartoum pour Bruxelles. Après avitaillement, il
décolle en pleine nuit de l’aéroport bruxellois pour sa destination
finale, Tel-Aviv. Suite à la divulgation par plusieurs journaux
américains, en décembre, de l’opération de sauvetage, celle-ci est
rendue publique le 5 janvier 1985. Les pays arabes font immédiatement
pression sur le Soudan pour arrêter le pont aérien qui a permis
l’évacuation de huit mille réfugiés; cependant, mille autres restent
bloqués au Soudan mais rejoignent plus tard Israël grâce à l’opération
Josué menée par les autorités américaines.
Les années suivantes amènent la compagnie à son apogée : un B707
rejoint la flotte pour effectuer des liaisons principalement vers
Lourdes, Athènes et les
Canaries. L’A300B1
est
mis en ligne sur les destinations les plus
fréquentées telles que Rhodes, Héraklion, Palma, Ibiza, Alicante et
Leipzig lors de la foire internationale. Les B737-200 desservent les
nombreuses escales comme Malte, Dubrovnik, Tivat, Izmir des tours
opérateurs Sunsnacks, Eurosun, Jetair, Neckerman, Club Med et bien
d’autres encore au point qu’un B737-200 supplémentaire rejoint la
flotte pour la saison d’été 1985. Gutelman revient à ses origines
liégeoises en effectuant les premiers charters au départ de Liège, en
1986, et transporte dix-sept mille cinq cent passagers la première
année et plus de cent mille au cours de 1989.
La compagnie française Point Air, charter à bas prix, dépose son
bilan le 2 décembre 1987. Elle effectuait des vols long-courriers au
Burkina Faso, en Inde, au Togo, en République Centrafricaine vers New
York et Montréal avec
deux DC8. Gutelman, intéressé par les slots et ne disposant pas encore
de licence sur la France, propose une offre de rachat mais le ministre
des transports français enlève en dernière minute du contrat les droits
de trafic ce qui ôte tout intérêt dans cette affaire finalement non
conclue.
Un B737-200 en provenance de Sabena est loué à partir de mars
1988 pour une période d’un an avec une sous-location temporaire à Tunis
Air et un autre en avril pour être transféré à la filiale anglaise en
1989.
Le premier B737-300 d’une série de douze (neuf d’entr’eux sont
destinés aux filiales) est livré en septembre 1988 aux nouvelles
couleurs de TEA portant les emblèmes du drapeau européen sur la dérive.
En
décembre la compagnie prend une
participation de vingt-six pourcents dans la branche belge d’Air Exel
en espérant l‘apport de passagers en provenance de France pour
alimenter ses vols charters au départ de Liège. A ce moment, la
compagnie – mère, deuxième en importance après la Sabena, compte dans
sa flotte un A300B1, un B707, deux B737-200 et deux B737-300 ainsi
qu’une soixantaine de pilotes et cent cinquante PNC - Personnel
Navigant de Cabine en transportant soixante pourcent des voyageurs du
trafic charter belge.
Ne
pouvant toujours pas compter en 1990
sur l’exploitation de lignes régulières au départ de la Belgique; en
prévision du marché européen unique de 1993, TEA veut s’y positionner
par la création de filiales étrangères avec licence d’exploitation
(AOC) propre à chaque pays dans le but d’effectuer aussi bien du
charter que des liaisons régulières.
Une
première filiale turque- TUR
European Airways- est créée en novembre 1988 à Istanbul disposant d’un
B737-2M8 mais ne survit pas longtemps. TEA UK fondée en janvier 1989 à
Birmingham reprend le fond de commerce de la compagnie charter anglaise
en faillite Mediterranean Express; la flotte se compose de deux
B737-200 et six B737-300 et reçoit l’autorisation pour effectuer
uniquement des vols charters. Suite à la concurrence féroce des autres
compagnies charter anglaises la compagnie doit cesser ses activités en
octobre 1991. TEA France, également fondée en janvier 1989 opère cinq
B737-300. TEA Basel créée en mars 1989 utilise huit B737-300 et
poursuit ses opérations
après
la faillite de la compagnie mère pour
être reprise en 1998 comme filiale suisse du groupe EasyJet. TEA Italy
à Trévise est fondée le 15 octobre 1990 et dispose de quatre
B737-300.
Le Gulfstream G III personnel de Gutelman est transféré à la filiale
Tea Executive Jet Service en vue d’effectuer des vols VIP à la demande.
En septembre 1990, le tour opérateur anversois Wirtz avec sa division
aviation Sunsnack, principal client de TEA, est racheté ainsi que
l’agence Weinberg spécialisée dans les voyages à l’intention des
diamantaires de la communauté juive d’Anvers.
TEA
réceptionne
en décembre deux A310-300 d’une commande de onze, les autres ne seront
jamais livrés suite à la fin des activités. Destinés à la filiale
française, l’un est directement loué à Cubana pour sa liaison La Havane
- Paris, tandis que l’autre est basé à Mulhouse pour effectuer des vols
vers l’Amérique du Nord et les Caraïbes.
Deux nouvelles filiales s’ouvrent en 1991: TEA Catering et suite
à la fin du monopole de la Sabena: TEA Scheduled Services, celle-ci
reprend le personnel de la compagnie en faillite Air Europe et se
charge d’en réintroduire les
anciennes lignes régulières au départ de Bruxelles sous préfixe TEA
vers Barcelone, Berlin, Arthenes, Thessalonique, Nice et Las Palmas
mais rien ne se concrétise car les relations entre Sabena et la
compagnie sont très tendues et seule la liaison vers Londres-Gatwick
démarre le 10 juin à raison de trois vols par jour.
En cours d’année est fondée EATC- European Aerospace Training
Center en vue de la formation des pilotes aussi bien pour TEA que pour
des compagnies tierces. La filiale espérait aussi se charger de la
formation et de
l’entraînement des équipages de la future navette spatiale européenne
Hermes qui sera cependant abandonnée par l’Agence Spatiale Européenne
estimant que la capacité et la charge marchande en sont trop petites et
ne peut ainsi concurrencer les navettes américaines. La filiale TEA
Scandinavia basée au Danemark est prévue pour février mais ne sera
jamais mise sur pied.
Les affaires périclitent après la Guerre du Golfe de 1990 et aux
conséquences du boycott des compagnies aériennes arabes, principaux
clients de TEA, suite à l’opération Moïse de 1984-1985. Le passif
atteint plusieurs milliards de BF au point que
TEA est contrainte de solliciter, en juillet 1991, une intervention
financière de l’État finalement refusée suivie d’une demande en
investissement de la région flamande également rejetée, la raison
invoquée étant son statut de compagnie privée. Un concordat est
introduit le 9 septembre mais il est refusé par l’un des curateurs,
ayant constaté des irrégularités dans les comptes. Une instruction
judiciaire est ouverte en avril 1993 dans laquelle Gutelman est
soupçonné de faux en écriture, d’escroquerie et détournement de fonds
mais bénéficie d’un non-lieu en mars 2001. Entre-temps la faillite est
prononcée le 21 novembre 1991. Les contrats sont repris par Air Belgium
et Sobelair; TEA se retire d’Air Exel Belgique qui reprend la ligne de
Bruxelles vers Londres-Gatwick et la division charter est vendue à City
Hotels pour devenir EBA. Les filiales turque, française, italienne et
suisse survivent respectivement jusqu’en 1994, 1995, 1996 et 1998.
Quelques avions TEA loués à d'autres compagnies :