Vous êtes ici : Histoire - VG-Delsey 

VG Airlines - Delsey Airlines

Luc Barry - Décembre 2020


 Les faillites de City Bird en octobre 2001 et de Sabena, un mois plus tard, offrent l’occasion à l’homme d’affaire anversois Freddy Van Gaever de créer une nouvelle compagnie aérienne dédiée aux vols long - courriers, secteur manquant à son palmarès, centré jusqu’à présent sur des compagnies à vocation européenne comme Delta Air Transport, VLM et Frevag Airlines. Après avoir consulté son beau-fils, Jan de Graaf, ancien co-pilote sur Airbus A330 au chômage depuis la faillite de la compagnie nationale; Van Gaever se laisse convaincre par lui du choix de l’A330-200, type d’avion parmi les plus récents de l’ancienne flotte Sabena, tout en souhaitant prendre à son service le chef-pilote A330 Raymond Nicolai, en lui offrant la direction des opérations. Le but est de créer une nouvelle compagnie, porte-drapeau de la Belgique, en se profilant sur la qualité du service et de la sécurité comme au temps de la Sabena. Après avoir obtenu, en décembre, des conditions intéressantes pour la prise en location de trois A330-220 ex Sabena, avec option sur deux autres de la compagnie ILFC propriétaire des avions, Van Gaever entre en discussion avec les patrons de SNBA dans l’espoir d’effectuer des vols long-courrier pour celle-ci mais n’obtient d’eux qu’un refus. En effet Birdy Airlines est en cours de constitution pour effectuer à partir du 26 avril les futures liaisons africaines de SNBA.

 Ayant effectué un voyage d’affaires en Arménie en relation avec sa présidence d’un club de football anversois, Van Gaever est au courant qu’aux États Unis se trouve une importante communauté d’émigrés arméniens estimée à près d’un million concentrée à Los Angeles et ses environs, ainsi qu’à Boston et New-York. Son idée est d’établir une liaison entre la capitale Yerevan et Los-Angeles via Bruxelles donnant connexion directe à partir de celle-ci aux vols de VG Airlines vers New-York et Boston. L’accord de coopération avec Armenian Airlines pour la commercialisation (Block Space Agreement) d’un certain nombre de sièges à bord des avions de la compagnie belge est signé avec enthousiasme en mars par la compagnie arménienne car elle ne dispose ni de l’autorisation des autorités américaines pour effectuer des vols vers les États-Unis ni des avions adéquats.

 Le capital de départ estimé à 12,39 millions euros en souscription publique connaît un franc succès au point d’être atteint après un mois: à chaque investisseur est promis par tranche de 12500 euros six tickets en classe economy ou deux billets business sur les vols de la compagnie !

 Entre-temps les démarches auprès de l’administration de l’aéronautique belge sont entamées en vue d’obtenir l’AOC et la licence d’exploitation indispensables au démarrage de toute nouvelle compagnie aérienne. Le premier document concerne les moyens opérationnels et techniques nécessaires pour exploiter les activités aériennes comme la conformité des normes techniques des avions et à leur maintenance, la formation du personnel etc. tandis que le second a trait aux détails financiers ainsi qu’à la pertinence du business plan. La demande est introduite en décembre dans l’espoir d’obtenir toutes les autorisations au terme d’un délai normal de trois mois afin de démarrer les opérations au début mars 2002.

 Un accord de non - concurrence est signé en janvier avec Delta Airlines qui exploite déjà une liaison journalière sur New-York stipulant que la compagnie américaine effectue le vol du matin tandis que l’avion de VG décolle dans l’après-midi ainsi que les transferts sans frais de passagers en cas d’annulation de vol de l’une des compagnies à l’autre. Des accords de Code - share sont également conclus avec VLM pour échange de passagers sur la liaison de Londres. Désirant s’imposer également sur le marché charter long-courrier dans lequel Van Gaever n’a aucune expérience, un partenariat est négocié avec Air Holland, compagnie de taille identique (deux cent salariés) à la sienne; spécialisée dans ce domaine et disposant d’un service technique de qualité.

 Cependant le suivi de l’obtention des documents de l’administration ne se fait pas selon les désirs de Van Gaever qui se plaint largement dans les médias des lenteurs et des tracasseries voire du boy-cot. Le caractère bouillant de Van Gaever n’est pas étranger à cette situation: son franc-parler et ses prises de position tonitruantes dans le passé lui ont déjà valu beaucoup d’inimitiés aussi bien du monde politique que de la finance au point qu’intervient également au début de février un litige entre lui et le président de la CBF - Commission Banquaire et Financière signifiant l’interdiction de l’émission et la vente d’actions sans prévenir en novembre. Cela ne lui empêche pas de parfaire son organisation en créant de nouvelles filiales spécialisées dans la vente hors-taxes à bord des avions, du catering et surtout des activités cargos avec le transport en constante augmentation et particulièrement lucratif de radioéléments à usage médical sur les destinations de New-York et Boston. Mi-février n’ayant toujours pas reçu de nouvelles concernant les autorisations, les premiers vols sont retardés à mi-mars tandis que l’engagement et l’entraînement du personnel en majorité issu de Sabena et de City Bird s’intensifie.



 Le premier avion OO-SFQ, aux commandes Nicolai et De Graaf, arrive à Bruxelles le 14 mars en provenance de Châteauroux, aérodrome où sont stockés une partie des avions de la Sabena. L’avion est baptisé Emilie De Graaf, petite-fille de Van Gaever.

 Les autorisations ne sont toujours pas accordées, les opérations ne peuvent donc pas commencer et la compagnie perd de l’argent malgré que le personnel recruté se soit engagé à ne pas percevoir de salaire avant le démarrage effectif de celles-ci. De nouveaux investisseurs sont recherchés et Tony Gram après discussion avec Van Gaever est d’accord à se lancer un nouveau défi dans une activité qu’il lui est cependant totalement étrangère. Cet homme d’affaire d’origine hollandaise mais naturalisé belge habitant dans la région anversoise s’est spécialisé dans la reprise de sociétés en difficulté financières et de cette façon est devenu propriétaire des firmes Kipling et Delsey toutes deux spécialisées en articles de voyage, comme les sacs et bagages. Après avoir injecté près de trente millions euros, il devient principal actionnaire et président de la compagnie aérienne tout en souhaitant rentabiliser sa mise par la repeinte des avions aux couleurs de sa société Delsey à des fins publicitaires. Van Gaever est relégué en tant qu’administrateur - délégué tandis que les autres membres de sa famille siégeant dans le conseil d’administration sont invités à démissionner. Le premier avion est entre-temps loué à Air Holland pour ses vols long-courriers vers l’Afrique.

 


 L’AOC tant attendue est finalement obtenue à la fin mars grâce à l’intervention de Freddy Van Dijck, neveu de Gram et promu directeur de la compagnie (1) mais pas encore la licence d’exploitation car elle est en attente d’obtention des garanties financières. Les autorisations de l’administration américaine pour opérer des vols vers les USA sont quant à elles obtenues le 13 avril. Le deuxième avion OO-SFR peint aux couleurs de Delsey arrive le 17 avril, baptisé au nom du futur petit-fils de Van Gaever: Michael Toman. Le troisième avion OO-SFS est livré le 7 juin et reçoit le titre « New- York City The Big Apple » pour location d’un mois auprès d’Air Holland en remplacement du OO-SFQ.

     


 En possession de toutes les autorisations le 2 mai sont précisés les horaires de VG Airlines pour le début des vols à la fin du mois: New-York un vol par jour; Boston cinq vols par semaine et Yerevan – Bruxelles - Los Angeles quatre fréquences par semaine. Des accords Code - share sont conclus avec Virgin Express le 14 mai pour la connexion avec ses quatorze vols européens journaliers. Gram, toujours à l’affût de bonnes affaires, rachète au cours du mois la compagnie Air Holland au bord de la faillite mais s’en mordra plus tard les doigts. Les vols inauguraux vers New York, Boston et Yerevan- Bruxelles - Los Angeles se font respectivement les 23, 28 mai et 3 juin. Les taux de remplissage des avions restent très faibles car la compagnie belge n’a toujours pas accès au système de réservation passagers des agences de voyage américaines et espérait obtenir 75 % de ses passagers via ce lien. Les problèmes financiers apparaissent en juillet lorsqu’Air Holland n’est plus capable de payer ses dettes de location des deux avions estimées à deux millions de dollar à VG Airlines ainsi que du remboursement des frais de location d’un B757 payés à l’époque par Gram.

 Cependant, le 8 août, Tony Gram prend le contrôle total de VG Airlines qui devient Delsey Airlines en rachetant les parts de Van Gaever définitivement mis sur le côté. Il est question de commencer à partir de la période d’hiver des vols vers Windhoek en Namibie et Le Cap en Afrique du Sud mais ceux-ci ne se concrétiserons pas. Les taux d’occupation des avions restent très bas: trente % sur New York et Boston tandis que la ligne Yerevan-Bruxelles-Los Angeles fait un peu mieux avec 50 % de passagers. Pour réduire les frais, le vol de Boston est combiné avec celui de New-York à partir du 9 octobre et un avion est immobilisé à Bruxelles. Air Holland tombe en faillite au milieu du mois d’octobre; tout espoir de récupérer l’argent s’envole et comble de malheur Armenian Airlines paie de façon irrégulière et incomplètement ses dettes. La compagnie belge est à cours de liquidités en perdant cent mille euros par jour et ne parvient plus à payer ses fournisseurs comme SN Technic qui menace d’interrompre l’entretien des avions; LSG Skychef ne veut plus apporter les repas à bord et un fournisseur de carburant ne veut plus livrer le kérosène tant que les factures ne sont pas payées. Gram ne veut plus renflouer la compagnie et décide de la revendre. Deux candidats se présentent: un américain actif dans le pétrole et un homme d’affaire juif mais les pourparlers n’aboutissent pas. Le 10 octobre les vols sont interrompus une journée par manque de passagers ensuite définitivement à la fin du mois sur décision de Gram. Le 5 novembre, deux ans après la disparition de la Sabena à deux jours près, Delsey Airlines demande la mise en faillite après une existence éphémère de cinq mois et devient troisième compagnie aérienne belge disparue en une année.


 
(1) Freddy Van Dijck via son agence Publi Ritz entre-temps vendue, louait depuis 1972 ses panneaux publicitaires lors des campagnes électorales à divers hommes politiques flamands et s’est ainsi forgé un important carnet d’adresses. Parmi ses amis l’on trouvait Jaak Gabriëls à l’époque ministre flamand de l’économie, du commerce extérieur et du logement qui lui a permis d’obtenir par son intervention l’AOC.