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L’Aérogare
d'Antwerpen-Deurne.
Luc Barry - Juin 2013
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Les origines de l'aérogare
L'aviation commerciale est une activité primordiale dans l'économie mondiale et rien ne semble arrêter son expansion ; avec pour
conséquence un flux de passagers et de marchandises en forte croissance malgré les multiples
bouleversements politiques qui affectent la circulation de ceux-ci. La mise en service d'infrastructures adaptées exige d'imposantes aérogares et rendent les
anciennes installations inutiles, vouées à la démolition au grand désespoir des nostalgiques d'un temps révolu.
Cependant, en Europe et plus particulièrement à Antwerpen en Belgique, subsiste une aérogare construite avant-guerre, toujours
opérationnelle mais adaptée au fil du temps au trafic et aux normes du transport aérien actuel.
Dès 1923, un ancien wagon de chemin de fer sert de terminal et doit rapidement être remplacé par un chalet en bois pour répondre au
trafic engendré par la ligne SABENA Rotterdam - Bruxelles -Strasbourg – Bâle qui faisait escale à Antwerpen. Sous l'impulsion de l'influent Jan
Olieslagers, as de la première guerre mondiale et président du prestigieux Antwerp Aviation Club, un concours entre architectes belges
et luxembourgeois pour une nouvelle aérogare est lancé par le ministre Maurice Auguste Lippens ; qui a l'aviation civile sous sa
responsabilité. Cette nouvelle construction était d'autant plus nécessaire que l'Exposition Internationale Maritime et Coloniale
de 1930 devait se tenir à Antwerpen. Bien que classé second du concours, l'architecte bruxellois Stanlislas Jasinski est retenu pour le
caractère avant-gardiste de son projet, fruit d'une étude très poussée concernant les problèmes et solutions rencontrés pour la construction
d'un aéroport.
La première pierre est posée le 30 décembre 1929 et la mise
en service se fait le 30 septembre 1930 tandis que l'inauguration
officielle en présence du Prince Léopold et de la Princesse Astrid a
lieu le 1er mai 1931, simultanément à la mise en service par SABENA de
la ligne BALTIC AIR EXPRESS reliant Londres à Malmö en Suède via
Anvers, Düsseldorf, Essen, Hambourg et Copenhague.
L'architecte Stanislas Jasinski (1901-1978).
Né à Bruxelles, il y étudie les beaux-arts à
l'Académie et devient l'apprenti de Victor Horta, chef de file des
architectes « Art Nouveau «. Après avoir effectué un séjour à Paris où
il rencontre Le Corbusier principal représentant du «Modernisme», il
revient à Bruxelles et rejoint le groupe avant-gardiste «7arts». Il
entreprend différents voyages d’études aux États-Unis et en Union
Soviétique. Il réalise en collaboration avec l'architecte moderniste
belge Gaston Brunfaut l’Hôpital Académique Jules Bordet à Bruxelles.
L'aérogare de Liège-Ans, inauguré en 1930 est également une réalisation
de cet architecte d'inspiration Moderniste hors du commun. Après la
seconde guerre mondiale il dessine de nombreux plans de buildings à
appartements et maisons d’habitations.
La conception de Jasinski concernant les aéroports.
Selon lui, le design d'un aéroport ne concerne pas uniquement
l'aspect architectural mais doit impérativement obéir aux éléments
régissant le vol des avions de l'époque qu'il résume en quatre points :
- Premièrement la localisation et l'élévation du terrain est choisie de
telle façon que le risque de brouillard soit réduit.
- Deuxièmement le terrain doit être plat et constitué d'herbe pour ses
qualités de drainage en cas de pluie, ses qualités élastiques afin
d'accepter des avions de poids important et pour sa prévention de
nuages de poussières.
- Troisièmement la nécessité de disposer d'un terrain libre de tout
obstacle afin de permettre l'utilisation de différentes routes
aériennes suivant les quatre points cardinaux.
- La dernière exigence concerne la proximité du centre urbain et des
voies de communication rapides et aisément accessibles par voie
ferroviaire.
En ce qui concerne Antwerpen-Deurne, toutes les conditions sont
remplies sauf les moyens de communication insuffisants : les trains ne
s’arrêtent pas à proximité de l’aérogare.
D’après ses nombreuses études, Jasinski était arrivé à la
conclusion que les trois types d'aérogares que l'on avait
l'habitude de construire ne répondaient pas aux exigences
opérationnelles propre au terrain de Deurne : le premier type
« l’Île» impliquait la construction d'un pavillon au milieu
du terrain comme il était prévu pour le futur aéroport de
Londres-Gatwick. L'idée est immédiatement rejetée car cette
construction limitait la longueur de la piste utilisable tout en
constituant une gêne à la visibilité. Le deuxième concept «
aérogare triangulaire» avec une pointe du triangle dirigé
vers le terrain d’aviation comme à Lyon-Bron engendrait lui aussi une
mauvaise visibilité au sol tandis que la troisième solution «aérogare
linéaire» comme à Bruxelles-Haren imposait des distances
importantes pour rejoindre les extrémités du bâtiment.
La solution proposée par Jasinski était la construction d'une
aérogare en forme de « L » prenant les avantages des «angles morts».
Afin de comprendre ce concept il
est bon de se rappeler
qu’à l'époque les avions
décollaient et atterrissaient
strictement face au vent et étaient donc susceptibles d'utiliser les
360 degrés de directions de la rose des vents, autrement dit l'ensemble
des trajectoires formaient un cercle. Il en découle que les bâtiments
devaient être construits dans les surfaces situées hors des dimensions
de ce cercle, inutilisées par les avions et prendront la
forme de surfaces en L qui est également plus avantageuse en terme
d'espace que la forme ovale. Cette formule était
indispensable non seulement pour occuper le moindre recoin de
l'aérodrome proprement dit mais aussi pour ne pas empiéter
sur les terrains industriels et la banlieue toute proche.
L'aviation progressait de manière prodigieuse, la
croissance du nombre de passagers et cargo nécessitait la construction
d 'infrastructures de plus en importantes, Jasinski estimait dépassée
l'habitude de construire des bâtiments publiques à l'architecture
monumentale lourde et compliquée préférant un style moderniste
dépouillé mais fonctionnel, susceptible de pouvoir s'adapter sans
difficultés.
L'aérogare.
Le bâtiment de l'aérogare allait donc se construire en trois
modules dont les parties gauche et droite pouvaient
s'agrandir en longueur
selon la croissance du trafic futur.
Le module central,
extensible par son
prolongement vers l'aire de mouvement des avions, était destiné aux
services opérationnels de l'aéroport : la police la douane et
le corps de garde. Le module de gauche, au rez-de-chaussée, accueillait
les passagers, les guichets de check-in, le bar et les locaux pour
pilotes. Le module de droite abritait les services en charge des
marchandises et en prolongement, le hangar pour avions. A
l'entrée du module central une rotonde donnait sur le hall qui abritait
deux escaliers menant chacun à l'étage vers un des deux autres modules
traversés par des galeries aux plafonds translucides et aux nombreuses
et larges fenêtres donnant l'illusion d’espace. Un double corridor
menant à la piste, situé de chaque côté des escaliers du hall
central, servait de passage l'un pour les départs, l'autre
pour les arrivées.
Le premier étage du module central était uniquement
accessible au personnel de commandement de l'aéroport : la météo, la
radiotélégraphie et d'autres services assurant la sécurité des vols.
Deux terrasses donnaient une excellente vue sur la plaine. Le module de
gauche était occupé par un hôtel de sept chambres pour les passagers en
transit et le restaurant se terminait par une terrasse accessible
également aux visiteurs. Un local du module de droite servait à
l'entreposage des archives tandis qu'une galerie ouverte, menant au
hangar, permettait la surveillance du matériel se trouvant en piste.
Le deuxième étage du module
central abritait la tour de contrôle entièrement vitrée ; un feu
tournant d'une portée de 70 à 80 km ainsi qu'une lampe rouge s'allumant
suivant le code morse au nom « ANTWERP » surmontaient le dôme de cette
tour. L'étage abritait aussi les locaux et l'imposant bar du Antwerp
Aviation Club. Les plates-formes du premier étage des deux autres
modules servaient de terrasses d'observation pour le public, celles-ci
étaient accessibles par des escaliers extérieurs au bâtiment
et permettaient aux spectateurs d'assister aux shows aériens bien plus
fréquents à l'époque.
Dans les années trente, les moyens de communications radios
étaient fort limités, en conséquence les installations aéroportuaires
devaient pouvoir être reconnaissables de loin par les pilotes. Au
milieu du terrain se trouvait un parterre en forme circulaire avec
l'indication en grandes lettres du nom de l'aéroport ainsi qu'une
flèche qui pivotait suivant la direction du vent permettant aux pilotes
de connaître le sens des décollages et atterrissages. La forme en L de
l’aérogare, sa peinture blanche, le toit du hangar recouvert
d'aluminium qui réfléchissait la lumière ainsi que le phare au sommet
de la tour de contrôle rendait l'aéroport visible au loin aussi bien de
jour que de nuit.
Pour le confort des passagers , l'architecte avait imaginé un
système révolutionnaire à l'embarquement abrité des passagers : un
couloir souterrain s'ouvrant au raz de la plaine sur commande de la
tour de contrôle était prévu dans le prolongement de la partie centrale
de l'aérogare. L'ouverture des trappes était obtenue par des clapets à
fonctionnement hydraulique, rabattus pendant l'évolution des avions et
levés seulement au moment de l’embarquement. Ce système fut cependant
refusé par l 'Administration de l’Aéronautique estimant ce système
dangereux pour la circulation des avions au sol.
La période de la guerre 1940-45.
Pendant l'occupation allemande, une piste en dur avait été
construite pour permettre l'utilisation des chasseurs Messerschmitt
venus en réparation. Pendant la Bataille d'Angleterre, les bâtiments
étaient camouflés afin de simuler les habitations d'une ville. A la
défaite des allemands, le hangar a été détruit par ceux-ci et
la RAF a utilisé ensuite l'aérodrome pendant un certain temps comme
base de liaison vers l'Allemagne et ce n'est qu'en 1946 que la Régie
des Voies Aériennes, nouvellement créée, a pris possession de
l'aérodrome et a commencé la reconstruction du hangar qui fut terminée
en 1949.
La période actuelle.
La limitation à 1500m de la longueur de la piste, imposée par la proximité de la banlieue anversoise d'une part et à la présence d'un fort d'autre part,
rend pratiquement impossible la venue d'avions de capacité importante à l’aéroport d'Anvers et pendant de longues
années les travaux se limitent aux entretiens de routine car aucune expansion significative du trafic n’est envisagée ; d'autant plus
que l'avenir de l'aéroport est régulièrement remis en question.
L'évolution de la technique rend cependant indispensable la modernisation de la tour de contrôle qui est
complètement réaménagée et rehaussée d'un étage ; le phare disparaît à cette occasion. Les châssis de fenêtre sont remplacés et tout
l'intérieur subit une modernisation, voulue non seulement pour le confort des passagers mais également imposée par les nouvelles directives de sécurité formulées par les instances européennes.
Néanmoins, la vocation
régionale et l'importance grandissante du trafic d'avions d'affaires
ayant pour conséquence le nombre croissant de jets privés basés à
Anvers, rend indispensable la construction de nouveaux hangars du coté
est de l'aérogare tandis que la partie ouest voit la
construction d'un hall d'exposition et du hangar abritant la
collection d'avions du Stampe Museum.
La reprise des installations par la Région Flamande se
concrétise par une réévaluation des potentialités de l'aéroport
d'Anvers mais avec la certitude de préserver au maximum
l'architecture particulièrement réussie de cet ensemble aéroportuaire
hors du commun.