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A la suite du 75 ième anniversaire du DC3, je vous propose de revenir sur les opérations de la compagnie Linair à travers l’interview de Guy Liesse, un pilote débutant à l’époque sa longue carrière aéronautique sur cet avion formidable. Entre janvier 1966 et décembre 1967, il accumula quelques 2370 heures sur le Dak au-dessus du désert libyen avec, à la clef, de nombreuses histoires dont certaines sont racontées ici.
Dans quel cadre as-tu volé sur DC3 ?
A la suite de mes trois années d’étude, j’étais neuvième sur neuf et la
SABENA n’engageait que huit pilotes, donc moi je n’avais pas d’emploi.
À l’époque
l’EAC (Ecole d’Aviation Civile) se faisait en trois ans. Néanmoins
j’avais déjà suivi les cours DC3 à la SABENA et fait des vols
d’observation, mais
qu’allais-je devenir car si tu ne voles pas directement tu perds ta
qualif. En discutant avec Mr. Viatour (ex Directeur des opérations à la
SABENA), qui m’avait refusé à la SABENA, il m’a proposé de
partir en Libye sur DC3.
Peux-tu nous expliquer les caractéristiques de vol du DC3 ?
En fait, je n’avais fait que le cours théorique, je n’avais pas encore fait de « training flights » sur DC3 et
c’est là-bas que j’ai débuté avec Mr. Vignerhoets (Chef Pilote)
par des petits circuits ou il m’a expliqué deux trois trucs et ensuite
j’ai commencé à voler
avec lui. Le principe était que le « pilote flying » était
toujours à gauche et le « non flying » à droite, qu’il soit
commandant ou
second. C’était propre à la Compagnie parce que les instruments
n’étaient pas identiques. J’ai donc appris mon métier sur le tas. Quand
il a décidé que j’étais capable, j’ai débuté les
vols avec les autres équipages, principalement étrangers. Il y avait
des Grecs, des Français, des Anglais,…
Pour en revenir aux caractéristiques de vol, il faut savoir que les
pistes étaient principalement en sable, à part Tripoli et Benghazi qui
étaient en dur. J’ai beaucoup appris avec un commandant suisse qui
s’appelait Popp, En fait l’approche là-bas se faisait sans suivre un
ILS. Pour
te montrer la complexité, lorsque nous arrivions sur une petite piste,
le personnel des Compagnies pétrolières que nous allions ravitailler
sortait des
tentes lors d’un passage bas. A ce moment là ils partaient en voiture
pour nous montrer où était la piste. Il y avait des fûts de fuel
disposés pour baliser la
piste et ils plaçaient deux jeeps pour nous montrer l’entrée de
celle-ci. On revenait pour faire une approche grand-angle à cause des
dunes. Il y avait
souvent un drapeau pour indiquer le vent et c’est tout, le reste se
faisait à vue. La vitesse d’approche était de 100 – 120 nœuds avec tout
sorti très tôt.
On ne pouvait pas faire une approche comme sur un ILS, tu devais tout
sortir, arriver à la vitesse minimum et descendre en gardant la bonne
vitesse.Tu
vérifiais ton angle mais si tu avais mal calculé tu devais recommencer
en remettant les gaz.
Y avait- il des particularités au pilotage du DC3 ?
Disons que pour moi c’était le début de ma carrière, j’ai du beaucoup
écouter les gens mais après une demi-heure de vol tu commençais à
l’avoir bien en mains.
Pour les caractéristiques, c’est un avion de base un peu comme un
Cessna 310, ce n’est pas un avion tordu. Le seul problème que nous
avions au début c’était l’HF
(radio haute fréquence) très compliquée à employer et qui se trouvait à
l'arrière.
Il faut bien se dire que ça ne servait pas à grand chose, sauf pour
dire où nous étions car il n’y avait pas de couloirs aériens, c’était
du VFR (règles de vols
à vue) partout.
Là-bas, le VFR est tout à fait différent mais je me suis vite adapté.
Il fallait tracer la route sur des cartes avec des points de repère au
sol.
Pour ce qui était du vol en lui même, c’est un avion facile, un vrai
avion, avec des procédures logiques. C’était proche de ce que j’avais
connu sur les bimoteurs de la SABENA.
Si tu ne savais pas voler, tu ne savais pas atterrir, cet avion
n’atterrissait pas en auto pilote. Pendant le vol en croisière,
tu respirais un peu et tu regardais à ta navigation, mais dès que trois
passagers allaient dans la queue, tu prenais 200 pieds car l’auto
pilote ne
tenait pas l’altitude.
Mais c’était un avion plaisant à voler, cela reste un des plus beaux souvenirs de ma carrière.
Cela aurait été tout autre si j’étais entré directement à la SABENA,
car à cette époque, les DC-3 ne servaient que pour le transport de
fret de nuit, et pour les commandants à l’entraînement. Je n’aurais pas
eu la même expérience.
C’était du transport de passager et de cargo ?
Nous avions les deux, ils démontaient les sièges. Par exemple nous devions ravitailler une fois par semaine les stations
en nourriture, nous déposions 100 kg là puis 200kg ailleurs. Je devais bien connaître le poids pour le trim. Tout
devait bien être stabilisé et correctement chargé. Je me rappelle que
pour la plateforme arrière c’était maximum 400 kg. Il fallait amener
tout devant. Je le voyais au pneu arrière, si
celui ci semblait plat.
J’ai eu la blague une fois avec un commandant américain. Nous
décollions de Tripoli pour apporter une rig (tête de forage de puits
pétrolier) de forage et nous
ne transportions que ça. Lors de mon external (tour avion), je vois le
pneu arrière un peu plat et je dis au commandant : « ou bien
c’est le poids qui
est mal réparti ou bien le pneu est vraiment à plat ». Nous avions
poussé au maximum vers l’avant la rig mais il restait une grosse partie
à l’arrière.
On se prépare à décoller sur la longue piste de 3-4 kms et au milieu de
celle-ci, pas moyen de soulever la queue or je
savais qu’au quart de la piste on devait pouvoir soulever la queue
autrement tu ne pouvais pas accélérer et c’était fini. J’ai dit qu’il y
avait un problème et
j’ai pris les manettes pour tout arrêter. Le commandant à râlé mais
nous sommes retournés au parking et avons fait peser la pièce. Nous
avions 700 kg sur la plateforme arrière ! Ce fût un
coup de chance.
Lorsque nous avions des passagers, ils devaient tous aller à l'avant,
le CG (centre de gravité) ne pouvait pas être à l'arrière. C’était le
seul problème.
Nous n’avions pas ce problème avec le carburant car les réservoirs
étaient situés au CG. Tu pouvais remplir les ailes à fond ou non, ça ne
jouait pas.
Combien de passagers transportiez-vous ? On allait soit pour amener de la nourriture et du matériel, soit pour relever les gens, des expatriés, des Français, Italiens et des Libyens aussi. Eux ils partaient avec une valise vide et ils revenaient avec une valise pleine, pour toute leur famille. Il y avait de tout dans ces camps, ingénieurs, administratifs, ouvriers…
Combien était-ce ? 21, 24,27 ? Ca je ne sais plus.C’est comme la charge utile et le poids max au décollage, désolé c’est parti de ma mémoire.
De quels équipements de navigation disposez-vous ? Il y avait des VOR à Tripoli et Benghazi et un ADF à Wheelus la base militaire de Tripoli. C’est tout. C’était principalement de la navigation à vue.
Tu étais basé à Tripoli ?
J’ai été basé sept mois à Benghazi et le reste à Tripoli. Nous ne volions qu’en Libye mais de temps en temps nous faisions des
vols touristiques avec des gens qui partaient en excursion pour les vestiges dans l’Ouest du pays, proche de la Tunisie.
Et Wheelus (une grande base militaire le long de la côte dans la banlieue proche de Tripoli, utilisée par les Américains à cette époque la) ? Non, Wheelus était une base militaire, mais ils nous suivaient au radar. Je me rappelle les avoir une fois appelé car j’étais mal pris et ils m’ont donné un cap pour rentrer. Mais on n’a jamais pu aller les visiter ou aller se poser.
Les autres terrains restaient fixes ?
Tu avais les grands camps qui restaient fixes, les plus petits se
déplaçaient en fonction des forages. Ils montaient alors une
piste à proximité du camp, parfois celle-ci était vraiment rudimentaire
car le camp ne restait pas longtemps dans une zone s’ils ne trouvaient
pas de pétrole.
Les vols duraient entre 1h30 et 3h, et parfois juste 20 minutes entre deux vols.
Au fond, le DC3 a servi en Libye pour transporter les foreuses, le
matériel et les gens pour rechercher des gisements. Une fois ceux-ci
localisés avec certitude, ils construisaient des
pistes de qualité pour avoir un service régulier et les Fokker sont
arrivés.
Lors de ces vols en DC 3 as-tu appris des choses qui t’ont servi ensuite dans ta carrière ?
Ah oui, j’ai acquis là-bas un raisonnement sain, correct, il ne fallait
pas faire de conneries. Tout ça était dû à
l’opération, aux gens avec qui je volais. J’ai vraiment eu de la chance
de débuter ma carrière avec ces vols uniquement en VFR ou un bon
jugement et une
bonne navigation, étaient primordiaux pour ne pas se perdre. J’ai volé
avec des commandants qui avaient beaucoup d’expérience, ceux-là ne
pouvaient pas se
perdre, mais ce n’était pas le cas de tous.
Je me rappelle ce commandant anglais. Comme il savait que j’étais
nouveau (je n’avais que 6 mois sur l’avion) il me dit :
« je vais aux toilettes à l’arrière, ne touche pas à l’auto
pilote ». A son retour, l’avion avait pris 150 pieds et il me
dit : « regarde on n’est
plus à l’altitude ». Je lui réponds : «C'’est normal, je n’ai
touché à rien et vous avez été aux toilettes». Il s’est senti
mal à l’aise de sa remarque et ne m’a plus parlé pendant trois mois.
J’ai appris beaucoup au niveau relationnel dans un poste de pilotage, j’ai pris le bon et j’ai laissé tombé le mauvais, ça
m’a forgé une certaine personnalité, j’osais dire non à certains « quatre lattes » alors que je n’en avais que deux.
Comment peux- tu expliquer la longévité de cet avion dans le temps ?
C’est un avion solide, robuste, ce n’est pas de la cacaille et il n’est pas sensible aux variations de températures. Par
contre, nous avions en Libye beaucoup de problèmes avec le sable entraînant de nombreux remplacements de moteurs.
La carlingue était d’une solidité sans nom, il
n’y avait pas d’économie de poids, tout était costaud et il n’y a pas d’ordinateur dedans…
As-tu des anecdotes pendant ces deux années passées en Libye ?
On atterrissait parfois sur des anciens terrains qui avaient servi pendant la seconde guerre mondiale. Il y avait
encore des bombes proches de la piste et il fallait décoller ou atterrir dans des zones bien précises.
On a quand même eu quelques accidents. Je me rappelle d’un collègue qui
a fait une approche trop basse à Benghazi et qui a
tapé la dune. L’avion est resté dedans. Le relief à Benghazi est plus
fort qu’a Tripoli, il fallait faire très attention sur ce terrain.
Il fallait rester très strict avec les procédures. Lors d’un vol avec
un commandant américain, après une demi-heure de
vol, on a eu un problème avec un moteur, que l’on a coupé. La nuit
tombe et il me dit : « on continue sur Tripoli ».
Il devait rester 3h
à faire sur deux moteurs, ce qui fait 4h30 avec un seul moteur. Je lui
dis non car une heure après on n’allait sans doute plus voir une piste,
car à part
Wheelus et Tripoli rien n’était allumé. J’ai du la jouer
psychologiquement pour le faire changer d’avis et rentrer au terrain de
départ. On y a passé deux
jours le temps de remplacer le moteur. Le soir je lui ai demandé
pourquoi il voulait à tout prix rentrer sur Tripoli ? « Well,
I had a party tonight » !
Certains pilotes vivaient à Tripoli, souvent avec leurs familles, et ils ne passaient que rarement une nuit dans le désert.
Ils étaient en fin de carrière et pour eux s’amuser le soir et amasser du fric c’était le plus important.
Lors d’un autre vol avec un nouveau commandant allemand, nous avions
une rig de forage qui dépassait d’un mètre dans le
cockpit. On avait décollé de Tripoli pour aller du côté de la Tunisie
vers Ghadamès dans un coin où nous allions rarement. Après 45 minutes
de vol, je me rends
compte que nous avons dévié de la route mais le commandant a insisté
pour poursuivre au cap initial.Par la suite
nous nous sommes rendu compte que la valeur du cap était correcte mais
que nous nous basions sur une boussole qui elle était incorrecte car
influencée par la
masse métallique de la rig de forage située à un mètre de la boussole.
Il a paniqué car il s’est rendu compte que j’avais raison. Nous avons
commencé à
faire des grands carrés pour essayer de retrouver un point que je
connaissais. Au bout d’un moment j’ai reconnu un point sur ma carte et
nous sommes rentrés sans problème.