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Mirage IV, souvenirs …
Eric Pintat - Serge Nemry
Le
23 juin 2005, trente-huit ans après son premier vol,
le Mirage IV P n°59, opérationnel à l’Escadron de Reconnaissance Stratégique (ERS) 1/91
« Gascogne », revêtu d’une livrée spéciale, se pose pour la dernière
fois sur la base aérienne 118’’Colonel Rozanoff’’ de Mont-de-Marsan.
Avec le retrait de service de cet avion mythique, une grande et belle
page de l’histoire de l’Armée de l’Air française est tournée. Aux
commandes du Charlie Fox, le Commandant Eric Pintat, chef des
opérations de l’ERS 1/91, et en place de navigateur, le
Lieutenant-colonel René Dupré, commandant en second de l’unité.
Ensemble les deux pilotes totalisent plus de 5500 heures de vol sur cet
appareil, un fait exceptionnel !
C’est
tout à fait par hasard, lors de la réception qui suivit remise des
ailes aux jeunes Cadets de l’Air belge, que nous avons fait la
connaissance du Colonel Eric Pintat, pilote à l’Armée de l’Air
Française. Présent lors de cette cérémonie au titre de directeur du
Centre de Vol à Voile de l’Armée de l’Air (CVAA 21-535, BA-273
Romorantin), le Colonel Pintat nous explique qu’en France, tous les
élèves ‘’ personnel navigant’’ doivent obtenir leur brevet de pilote de
planeur. Ensuite, il nous a longuement parlé de ‘’son avion’’ le Mirage
IV, le plus bel avion du monde, dit-il passionnément. Pilote de chasse,
pilote du vecteur nucléaire français puis de reconnaissance
stratégique, Eric Pintat est également passionné par le Stampe SV-4,
qui le plonge dans un autre monde. Avec son aimable autorisation, nous
publions un texte qui relate son expérience sur le mirage IV.
J'ai piloté le plus bel avion du monde !
J’étais pilote sur Mirage F1 quand j'ai appris qu'il y avait la
possibilité d'être muté dans un escadron de Mirage IV P. La place
n'était pas très
convoitée par les pilotes de défense aérienne de l'époque, mais je
savais qu'à la prochaine prospection, mon brevet de chef de patrouille
acquis, je répondrais favorablement pour pouvoir piloter cet avion qui
m’a toujours fasciné.
En
1990, je fus donc muté sur Mirage IV P à Mont de Marsan. C'est là que j'ai découvert un avion comme on n'en ferait plus !
Un
camion au sol, avec ses 33 tonnes et ses 10 roues, mais une fois
airborne dès la vitesse de 450 kts atteinte, une vivacité aux commandes
et une capacité d'accélération digne des meilleurs avions de chasse,
avec en plus une autonomie en carburant multiplié par deux. Je me
souviens de ma première accélération supersonique où je fus obligé de
tirer sur le manche pour ne pas overshooter mach 2, je me rendis compte
ce jour-là que j'avais entre les mains un engin exceptionnel. Ou encore
ces vols à 600 kt et 250 ft mer pendant 20 minutes où la température
d'impact est si élevée que l'air dans la cabine devient étouffant, la
climatisation sur plein froid ne suffisant pas à rafraîchir
l'habitacle.
J'étais enfin sur cet avion aux capacités exceptionnelles, mais
avec une mission de dissuasion peu convoitée par les autres pilotes,
nous faisions exclusivement des ravitaillements en
vol et ce la basse altitude en dehors des exercices d'alerte. Ceci
jusqu'en 1994
quand
l'escadron a, pour la première fois, participé à des opérations
aériennes au-dessus de la Bosnie. C'est là où j'ai connu mes premiers
stress, j'avais déjà fait une quarantaine de missions de guerre en F 1
au-dessus du Tchad, mais cela n'avait rien à voir. Nous travaillions
désormais avec les Américains, dans un cadre tactique plus complexe,
avec des météos pas toujours favorables et des terrains de déroutement
totalement inconnus.
C'est
au cours de ma première mission sur la Bosnie que je me rendis vraiment
compte que travailler avec un navigateur était un gage de réussite et
augmentait la capacité d'adaptation au changement de mission. Ce
jour-là, 10 minutes avant de partir à l'avion, nous recevions un
changement d'axe et d'horaire de ravitaillement ainsi que de porte
d'entrée en zone. Il était impossible de tout recommencer. Le
navigateur m'apaisa, me communiqua la nouvelle heure de décollage, et
me dit qu'il me communiquerait les nouveaux éléments pendant le transit
vers l'axe de 'ravito'. La mission fut nominale, je pouvais me
décharger de la partie navigation et respect des horaires et me
concentrer sur les phases délicates du pilotage. Sont venues ensuite
les missions pour le compte des Nations Unies au-dessus de l'Irak, où
nous étions les seuls à voler au nord du 33ème
parallèle,
et bien qu'évoluant dans un contexte permissif, j'ai eu droit à un de
mes plus grands moments d'incertitude sur la suite de mon existence. Je
n'ai du mon salut qu'à cette capacité en carburant, et cette
possibilité d'accélération de mon Mirage IV P, (ou alors aux intentions
non réellement belliqueuses de mon adversaire). L'accélération fut
telle que le parachute en nylon a fondu dans son logement et n'est pas
sorti à l'atterrissage. Les conditions de température étaient si
élevées pendant cette campagne qu'il m'arrivait fréquemment de faire
mon dernier virage avant atterrissage en mini PC. Il y eut après, les
missions sur la Yougoslavie, où une fois de plus les capacités de
l'avion nous permirent d'aller sans escorte au-dessus du territoire
hostile, volant à mach 2 et 50.000 ft pendant plus de 40 minutes, et
faisant deux pénétrations par mission.
Grâce
à cela nous pouvions être intégrés au dernier moment sur les prévisions
de vol. Nous avons, un jour où la météo était particulièrement
favorable, à deux Mirage IV P, sécher un C 135 de 40 tonnes de
carburant. Vinrent enfin les missions au-dessus de l'Afghanistan, qui
furent elles aussi riches en émotions. Chaque fois cet avion m'a ramené
'à bon port', et les quelques pannes rencontrées au cours de ces 15
années (notamment un voyant feu à mach 2 et une rupture de commande des
gaz) et 2.300 heures de vol n'ont jamais altéré la confiance que
j'avais placée en lui.
Ces
sensations de puissance mêlées de
finesse et de précision de pilotage, de masse mêlée à la légèreté et à
l'homogénéité des commandes en font un avion inégalable. Ces vibrations
particulières ressenties à l'approche des basses vitesses ou à la
montée du facteur de charge font du Mirage IV P un des derniers avions
d'arme réellement 'pilotable aux fesses’. Quelle tristesse de voir
partir ce bel oiseau aux lignes pures, il restera toujours pour moi le
plus bel avion du monde !
Colonel Eric PINTAT, 7300 heures de vol dont : 3100 heures de Mirage
dont 2300 de Mirage IV P et un peu plus de 100 missions de guerre n°
2(missions extérieures) au-dessus des pays de l'ex-Yougoslavie et de
différents pays africains.
Un peu d’histoire.
Le
programme du Mirage IV initié par le Général De Gaulle a été confié en
1956 à la société Dassault. Le prototype 01 de ce chasseur bombardier
bimoteur est dévoilé le 17 juin 1959 et provoquait la surprise générale
lors de sa présentation au Salon Aéronautique du Bourget. Deux ans plus
tard, le 12 octobre 1961, le premier Mirage IV A prenait l’air.
C'est
en 1964 que le Mirage IV prendra sa première alerte nucléaire avec
l'arme nucléaire type Il sous son ventre. Avions et pilotes étaient
prêts à décoller 24/24h et ce tous les jours. Ravitaillé en vol par, à
l’époque, des Boeing C135 F, le bombardier pouvait rester en vol douze
heures durant. Le Mirage IV, d’un poids au décollage de 33 tonnes, est
propulsé par 2 réacteurs Atar 9K dotés de la postcombustion (6. 600 kg
de poussée) Si nécessaire, dans des conditions exceptionnelles, 12
fusées JATO de 500 kg de poussée, augmentait durant 15 secondes la
puissance au décollage Le Mirage IV, premier vecteur nucléaire piloté
de la force aérienne stratégique française, volait à deux fois la
vitesse du son à 18 000 mètres d’altitude. Sa capacité de
ravitaillement en vol le mettait à la portée de tous les objectifs
possibles. Quatre prototypes et 62 appareils de série seront construits
par l’avionneur français et répartis sur les neuves bases stratégiques
que compte l’hexagone. Le bombardier nucléaire équipe les escadrons,
Gascogne, Bretagne, Guyenne, Beauvaisis, Cevenes, Bourbonnais, Marne,
Artois et Sambre des bases de Mont-de-Marsan, Cazaux, Istres, Orange,
Avord, Creil, Cambrai, Luxeuil et St Dizier.
En 1987, le IV A n°59 devient Mirage IV P après une
transformation de son système de navigation et de bombardement,
l’adaptation de ses moyens de guerre électronique et l’ajout de
caméras. Les missions de
reconnaissance menées lors de l'opération « Trident » en Bosnie et au
Kosovo se révèlent très efficaces. C’est donc logiquement que les IVP
sont mis à l’œuvre dans d’autres opérations extérieures telles que
Aladin et Tarpan en Irak, et Héraclès en Afghanistan. Aujourd’hui, le
Mirage IV P N°59 est exposé sur la Base aérienne 110 de Creil ou il
témoigne du rôle essentiel joué par cet appareil dans la modernisation
de l’armée de l’air.