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A400M : une difficile gestation.

Texte et photos : Guillaume Besnard

Conçu pour remplacer les vieillissants C-160 Transall et C-130 Hercules de nombreuses armées européennes, l'A400M a connu de nombreuses difficultés de conception.  Un an après les premiers vols de l'avion, où en est-on dans l'avancement du programme ?

L'accouchement des avions Airbus se fait souvent dans la douleur. Pas forcément à cause de problèmes techniques ou industriels, même si les problèmes de l'A380 sont avant tout liés à des problèmes d'industrialisation (processus de fabrication de l'avion) plutôt qu'à sa conception intrinsèque de l'avion. Mais Airbus, c'est l'Europe, et l'Europe, c'est très politique.

Quand il s'agit d'un avion civil, les sommes mises en jeu sont importantes, et il est normal que les investisseurs (les Etats) veuillent avoir un droit de regard sur la manière dont leur argent est utilisé. Dans le cas de l'A400M, on touche au dernier bastion de la souveraineté nationale, à une échelle jamais atteinte : les industries de défense. Ce n'est pas le premier programme commun dans l'Union Européenne : on se souvient ainsi des programmes AlphaJet (avion d'entraînement franco-allemand), Transall (transport franco-allemand), Tornado ou encore Eurofighter (avion de chasse anglais, allemand, italien et espagnol).

Mais dans le cas de l'avion de transport européen, les enjeux du projet dépassent de loin tout ce qui a déjà été fait par le passé.

Le nombre des pays européens impliqués tout d'abord : France, Allemagne, Belgique, Luxembourg, Royaume-Uni et Espagne ; soit 5 des 6 Etats membres fondateurs de l'ancêtre de l'Union Européenne. L'investissement financier est colossal : 28 milliards d'Euros, répartis entre les pays et le constructeur. Pour la première fois, la France confie donc à un consortium dont elle n'est qu'une participante importante mais minoritaire le soin de concevoir et développer un avion dont va pratiquement entièrement dépendre sa capacité logistique de projection pour les 30 prochaines années.

Les Etats ne laissent aucune marge de manœuvre à Airbus, car à chaque fois, c'est l'intérêt national qui doit primer. Le contexte de gestation de l'A400M est extrêmement tendu car avant de fabriquer l'avion qui sera réellement efficace, il faut que les sites de conception et de fabrication plaisent à tous les participants, même si cela doit parfois aller à l'encontre de la raison. Contrairement à l'Eurofighter où chaque pays fondateur du programme produit ses propres avions, tous les A400M sont assemblés à Séville, en Espagne. Le plus gros défi ne réside cependant pas dans l'industrialisation qui, à part les déboires de l'A380, est un process maîtrisé par Airbus, mais dans sa conception et son ingénieurerie.

L'entité Airbus Military existait déjà avant la création de l'A400M, grâce aux programmes de conversion d'avions civils en avions militaires MultiRole Transport Tanker (A310 et A330 MRTT principalement). C'est cependant la première fois qu'Airbus lance un programme entièrement militaire, dont la cellule de base ne provient pas d'un avion civil reconvertit pour l'occasion. Le programme A400M part de 0 dans tous les domaines. Malgré l'intégration des équipes de CASA (constructeur d'avions de transport espagnol racheté par EADS) apportant un savoir-faire certain, la constitution d'un programme militaire est une nouveauté pour presque tout le monde. Les clients ne sont plus des compagnies aériennes, mais des forces armées et des Etats.  Tout doit être pensé dans l'optique du combat (même les avions de transports se posent près des lignes ennemis et sont la cibles d'attaques), ce qui est une nouveauté pour un constructeur dont le cœur de métier est l'aviation commerciale.

Dès le départ de la conception, la politique pris le dessus : en 2003, bien qu'Airbus préférait un moteur conçu par Pratt & Whitney, les décideurs politiques forcèrent Airbus à choisir le TP400, proposé par un consortium de constructeurs européennes et dont le moteur de l'A400M est la seule réalisation.

Ce choix politique va coûter très cher à Airbus, puisque le moteur n'est pas prêt à temps : alors que le premier vol est prévu en juillet 2008, les moteurs n'ont même pas encore été testés au début de l'année, et EADS se voit obligé de repousser le premier vol à une date indéfinie.

Entre temps, Airbus annonce des difficultés de développement sur la cellule : l'avion serait beaucoup trop lourd, et ne pourrait pas emporter les 32 tonnes requises, repoussant par la même occasion les premières livraisons à 2012, et demandant une rallonge budgétaire d'environ 5 milliards d'euros, en échange de la réduction du volume des commandes.

Malgré cette forte période de turbulences, le programme tient le cap, et le premier vol est effectué le 11 décembre 2009. La production continue et 3 prototypes participent au programme d'essais en vol. La capacité structurelle de l'avion est finalement validée en juillet 2010 et fin octobre, EADS a annoncé le début de la phase de tests des capacités de parachutage et de ravitaillement en vol.

Le premier largage de parachutistes a lieu le 14 novembre 2010 ; parmi le premier stick largué se trouvaient par ailleurs Tom Enders, PDG d'Airbus et Bruno Delannoy, directeur du programme A400M, tous deux parachutistes émérites. Les essais de ravitaillement en vols débuteront bientôt, et un VC-10 de la Royal Air Force va être spécialement détaché à Toulouse à cet effet.

Début novembre 2010, les avions ont effectué 672 heures de vol, sur les 2700 nécessaires à la certification ; le rythme va en s'intensifiant. Un 4e prototype va rejoindre les avions déjà en essais d'ici la fin de l'année. Pour le moment, Airbus confirme être dans les délais et pense que la certification militaire interviendra fin 2011 et les premières livraisons en 2012, pour l'Armée de l'Air française.

Malgré quelques problèmes de jeunesse, n otamment des moteurs, la tempête semble terminée pour l'A400M : mais tout va se jouer en 2011 : c'est là qu'interviendront les essais en opération simulée, la certification et que les armées connaîtront réellement les capacités de l'avion ; peut-être séduira-t-il d'autres clients potentiels ?