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Les avions renifleurs de Bruxelles-National

Luc Barry - Janvier 2011

  Fin des années 70, l'aéroport de Bruxelles-National est le théâtre d'activités mystérieuses d'une société ayant comme tâche présumée la recherche par voie aérienne de champs pétrolifères dans le monde. Le début de cette incroyable aventure remonte à la rencontre, en 1967, du comte belge Alain de Villegas de Saint-Pierre-Jette, ingénieur original et idéaliste, et de l'inventeur italien Aldo Bonassoli, passionné d'alchimie, ayant la prétention de mettre au point un procédé révolutionnaire pour le repérage de nappes aquifères. Le comte de Villegas, dont le rêve est de servir l'humanité, se laisse séduire par les propos du « professeur »( en réalité un simple technicien radio) et est disposé à trouver des financiers pour concrétiser ce fameux projet pouvant aider les populations d'Afrique. Il apparaîtra plus tard que cet inventeur farfelu n'est qu'un mythomane ayant presque réussi quelques années auparavant à tromper l'armée Italienne en proposant à celle-ci une arme « révolutionnaire » utilisant un rayon occasionnant des dégâts considérables.
Les premières démonstrations, financées par une société d'achats de brevets, se déroulent positivement en Espagne. En 1975, Bonassoli affirme que son procédé permet aussi la détection des nappes de pétrole sans devoir effectuer des forages onéreux mais la société qui finançait les travaux du comte se retire tout en conseillant à celui-ci de contacter la firme pétrolière française ELF, Grâce aux nombreux appuis politiques et scientifiques du comte, un contrat est envisagé avec ELF et les inventeurs persuadent aussi la Défense Nationale Française en prétextant que leur invention, basée sur la réflexion d'une onde mystérieuse, permet une localisation précise des sous-marins en plongée ! Le gouvernement français, appuyé par le président Valéry Giscard d'Estaing, voyant l'aubaine de se hisser au top mondial tant au point de vue commercial que militaire, exige de garder le secret absolu sur cette affaire codée « projet x » tandis que la signature du contrat est prévue à Zurich le 28 mai 1976. Elf veut s'assurer de la faisabilité de cette fabuleuse entreprise par une évaluation de celle-ci en faisant survoler des zones déjà prospectées par bateau tout en négligeant la connaissance des détails de fonctionnement du système(1). Dès lors, une première somme évaluée à l'équivalent de 2,8 milliards de BF est versée par ELF sur le compte de FISALMA, obscure société helvéto-panaméenne agissant au nom du comte et dont le fondé de pouvoir aurait été lié à des organisations mafieuses et proche de l'extrême-droite italienne.
Au début de 1977, deux sociétés sont créées en Belgique, d'une part le Centre de Recherche Fondamentale -CRF- qui s' installe dans le château du comte de Villegas afin de permettre à Bonassoli de parfaire son invention mais qui sera dissout en novembre de la même année et d'autre part le Centre Européen de Recherches -CER- financé par des actionnaires suisses dont l'objet principal est d'effectuer des recherches géophysiques pour le compte de tiers. Le CER s'installe à l'aéroport de Bruxelles-National après avoir construit un immense hangar ultra-sophistiqué( actuellement utilisé par SABENA FLIGHT ACADEMY) pouvant abriter les futurs avions prospecteurs et le matériel de recherche ultra-secret. 35 employés dont une quinzaine de pilotes sont dirigés par un ancien pilote du 15ème Wing de la Force Aérienne Belge -Philippe Halleux- mais en réalité le comte de Villegas supervise toutes les activités. Le premier avion inscrit au nom du CER, un Fokker F27 immatriculé OO-PSF, est le seul équipé pour la prospection après avoir été modifié dans les ateliers de la SABENA ( placement de plate formes à inertie pour la navigation, modification du plancher etc. ). Lors de chaque mission, les instruments de prospection sont embarqués sous haute surveillance, cachés du regard des curieux par des bâches. L'on apprendra, des années plus tard, que cet avion ne transportait aucun appareillage! Un Swearingen SA226AT Merlin iv et un Falcon 20, successivement immatriculés OO-PSM et OO-PSD sont utilisés pour les missions de liaisons et les déplacements d'affaires, Luxueusement aménagés, le Falcon ainsi qu'un yacht de 20m qui mouille en Méditerranée servent principalement aux déplacements du comte et de sa famille. Un Boeing 707, immatriculé OO-PSI, devait être transformé en avion de prospection ultra sophistiqué mais suite à l'arrêt des activités, celui-ci sera loué à SOBELAIR en version passager. Le comte de Villegas et Bonassoli se déplacent fréquemment à l'étranger et tous deux passionnés par les phénomènes extra-terrestres, effectuent un vol surprenant à destination de Palerme afin d'observer un terrain d'atterrissage pour OVNI ! Ils envisagent d'ailleurs de fusionner les deux sociétés - CER et CRF - sous l'appellation unique de PLANET SURVIVAL INTERNATIONAL–PSI, dont les deux premières lettres PS se retrouvent dans les immatriculations des avions. Bien entendu le plus grand secret est gardé sur toutes les activités se déroulant dans le hangar et aux alentours des avions, les employés n'étant mis au courant des vols qu'au dernier moment; les autorisations de survol principalement vers la France sont accordées sans aucun délai et les équipages dispensés des contrôles de police et de douane, ce qui augmente encore le caractère particulièrement étrange des activités de la compagnie car celle-ci dispose d'un crédit illimité pour les travaux effectués sur les avions par la SABENA.
Un an plus tard, les dirigeants d'ELF et le gouvernement français, impatients d'obtenir des résultats satisfaisants, car certains forages effectués suivant les indications fournies à partir des repérages aériens aboutissent à des échecs, commencent à douter du bien-fondé des expériences et exigent du comte de Villegas qu'il fournisse enfin tous les détails du procédé de sondage. Le comte, réticent car il craint d'être dépossédé de son «invention», et Bonassoli embarrassé, promettent cependant d'en dévoiler tous les secrets; ELF verse 500 millions de FF supplémentaires sur le compte de la société FISALMA, mais la somme est finalement bloquée suite aux explications peu crédibles de Bonassoli et les dirigeants de ELF s'aperçoivent enfin de la supercherie(2) en mettant un terme au contrat tout en tachant de récupérer les sommes précédemment versées.
Tous les fonds étant épuisés, le CER est mis en vente en 1979 et le personnel licencié. La compagnie américaine POTOMAC TECHNOLOGIES rachète les installations mais se retire rapidement suite à la tournure des événements qui mettent en cause le gouvernement français et la société ELF; entre-temps les avions sont vendus, le hangar est loué à TEA pour l'entretien des hélicoptères de l'armée américaine; le château du comte de Villegas est vendu tandis que celui-ci et ses complices disparaissent dans la nature. Le contre-espionnage français contacte toutes les personnes ayant eu connaissance du « projet x » et celles-ci s'engagent à n'en divulguer aucun détails. Ainsi s'achève une des plus grandes escroqueries s'étant déroulée en partie sur notre aéroport national; l'affaire ébruitée par un journal français sera désormais connue comme étant celle des 'avions renifleurs' de pétrole mais surtout d'argent. L'enquête menée en 1980 par la Cour des Comptes Française aboutira à la conclusion que l'équivalent de près de 7 milliards de BF auront été versés secrètement par ELF, de 1977 à 1979,sur le compte suisse de FISALMA et près de la moitié de cette somme n'a jamais pu être récupérée !Selon certaines sources, une partie de l'argent aurait servi à financer une caisse noire en vue des élections pour la droite française. Une commission d'enquête parlementaire constituée en France n'a pas réussi à élucider toute l'affaire mais il en résulte qu'un certain nombre de personnes au sein de l'entreprise ELF devaient être au courant de l'escroquerie.

Note(1) : Des années plus tard, il apparaîtra que les ingénieurs ont étés dupés par les cartes soi-disant élaborées à partir des vols du DC3; à l'aide de complicités internes à ELF, celles-ci étaient en fait réalisées à partir de clichés obtenus précédemment par les méthodes classiques de repérage.

Note(2) : Deux faits ont attiré les scientifiques chargés par Elf de vérifier le bien-fondé de l'invention de Bonassoli et de conclure à la supercherie: - d'une part, un des éléments constitutifs du système, le tube d'émission ayant soi-disant subit des modifications était en réalité un modèle d'origine provenant directement du fournisseur et d'autre part lors d'une séance de démonstration du système, Bonassoli prétendait que son invention rendait possible la reconnaissance des formes d'un objet se trouvant derrière un mur au moyen d'une caméra. Un scientifique mandaté par ELF lors de l'ultime démonstration, présente une règle métallique devant l'assemblée et demande à l'inventeur si la caméra disposée devant le mur pourra reconnaître cette règle qui sera placée de l'autre coté de celui-ci; l'inventeur répond affirmativement et le scientifique se rend de l'autre coté du mur tout en veillant à plier cette règle à l'insu de tout le monde; une image apparaît effectivement sur le moniteur de contrôle : celle-ci montre une règle droite; il n'en faut pas plus pour prouver la supercherie !