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Prosper Cocquyt, pilote-ambassadeur de la SABENA.

Luc Barry - Février 2011

 Notre compagnie aérienne nationale aujourd'hui disparue aligna au cours de son existence un nombre impressionnant de pilotes mais rares furent ceux qui acquirent une notoriété aussi brillante que Prosper Cocquyt.

 Prosper est né le 9 juin 1900 à Astène, près de Gand, en bordure du canal de dérivation de la Lys, ses parents y exploitaient un moulin. Dès son plus jeune âge, fasciné par le ronflement du moteur entrainant les meules du moulin, il s'active à en comprendre le fonctionnement tandis qu'à l'école le jeune « Pros » se distingue par sa forte personnalité marquée d'un entêtement tel que son entourage le surnomme « Kop zestiene » ayant comme signification que celui-ci réunit à lui tout seul 16 autres personnes aussi têtues que lui. Les sciences et la technique sont ses cours préférés et suscitent toute son attention.

 En 1907, la famille Cocquyt, en route vers un pèlerinage, aperçoit au loin un avion évoluant dans le ciel, il s'agit du français Farman qui pour la première fois atteint l'altitude de 50m au départ de la plaine d'aviation de Gand; dès cet instant le jeune Prosper ne rêve plus que de voler !

 A 14 ans, contraint d'abandonner l'école suite à la déclaration de la guerre, il est engagé comme embouteilleur dans la brasserie tenue par un ami de son père et ses remarquables connaissances en mécanique étonnent son patron qui le nomme deux ans plus tard chef-mécanicien. Prosper s'obstine à approfondir ses connaissances et obtient brillamment son diplôme de mécanicien-électricien à 21 ans.

 En âge d'effectuer son service militaire, le jeune «Pros» est enrôlé au 1er Régiment des Troupes du Génie à Gand et profite de ses soirées libres pour suivre des cours par correspondance de conducteur-électricien et de français.

 Il entretient une correspondance régulière avec son cousin qui effectue la formation élémentaire de pilote à l'aérodrome de Gosselies; celui-ci persuade Prosper à se présenter à l'examen d'entrée pour l'Aviation Militaire; son application à l'étude le classera en tête à l'examen final.Il entame, comme le veut l'usage à l'époque, son écolage à Gosselies pour l'obtention du brevet civil en juin 1922 tout en suscitant l'admiration de ses instructeurs par son calme et son sens inné de l'air. Premier de sa promotion, il décroche le brevet élémentaire d'aviateur civil en septembre 1922; rejoint l’École d'aviation militaire de As en Limbourg et obtient ses ailes militaires le 5 mai 1923 pour être muté ensuite à 3è Escadrille du III Groupe d'Evere, effectuant de nombreuses missions photographiques au point de pouvoir reconnaître aisément les moindres recoins de la Belgique du haut du ciel.

 En 1924, la SABENA en pleine expansion ouvre ses portes aux jeunes pilotes, dont Prosper. Ses qualités humaines et professionnelles remarquables font en sorte qu'il s'impose rapidement et ses supérieurs le désignent chef-pilote en 1927 et plus tard lui sera confiée la responsabilité de pilote d'essai de la compagnie. Ses nouvelles fonctions amènent Prosper Cocquyt à occuper à la SABENA les devants de la scène :inaugurations de nouvelles lignes, introduction des nouveaux avions, organisation de vols de vulgarisation et entrainement au pilotage des avions multi moteurs; sa bonne humeur et sa gentillesse engendrent une popularité et une reconnaissance non seulement auprès de ses passagers mais également parmi les grands de ce monde qui ne souhaitent voyager qu'étant assuré que Cocquyt est aux commandes « si c'est Cocquyt, il n'y aura pas de problème «. Sa simplicité, son air rassurant, son bon rire et ce délicieux accent des Flandres en font une véritable icône. Sociable et passionné par son métier, il ne manque jamais de répondre dans un langage simple et direct. aux explications souhaitées par les passagers et journalistes. Sa fameuse réponse donnée au journaliste voulant connaître la technique de l'atterrissage est passée dans la légende : « C'est fort simple, ze coupe, ze pique et z'atterris !

 Dès 1928, SABENA est la première à introduire les vols postaux de nuit sur l'Angleterre et c'est à Prosper, premier pilote belge breveté au pilotage sans visibilité de l’École Farman établie en France sur le terrain de Toussus-le-Noble, qu'en revient l'honneur d'effectuer le premier vol.

 Confronté tout au long de sa carrière à une trentaine d'incidents en vol dont il s'en tire toujours grâce à son expérience et son immense sang-froid, ceci l’amènera tout naturellement à s'intéresser aux problèmes concernant la sécurité des vols en y apportant de nombreux perfectionnements aux instruments.

 Le 23 février 1935, SABENA décide d'ouvrir d'une façon régulière la liaison Belgique-Congo,  défrichée quelques années auparavant. L'équipage du Fokker FVII-3m composé de Prosper Cocquyt -chef pilote; Jean Schoonbroodt- second; Ferdinand Maupertuis- radio mécanicien et de l'unique passager, Tony Orta – futur patron de la compagnie au Congo- rejoint sans trop de problèmes Léopoldville après un voyage de 6 jours. Au cours de cette même année, Prosper est fêté premier pilote « millionnaire » en kilomètres parcourus dans les airs au service de la SABENA.


 Au déclenchement de la guerre en 1940, les pilotes de la SABENA sont réquisitionnés et Cocquyt effectue quelques vols entre Alger et Goa. Ses missions terminées, il revient en Belgique et ne vole plus pendant toute la durée de la guerre, SABENA ayant suspendu ses services au départ de la Belgique. Néanmoins, Prosper suit des cours de perfectionnement organisé par l'Administration de l'Aéronautique et mettant à profit sa parfaite connaissance aérienne des lieux géographiques de la Belgique, il rend d'inestimables services à la Résistance en prospectant et en renseignant clandestinement les terrains et aérodromes utilisables par les alliés pour le largage de matériel et d'espions.

 Les hostilités terminées, Cocquyt reprend du service à la SABENA sur la LBC (Liaison Belgique – Congo) et réalise la première liaison vers les États -Unis en DC4 de la compagnie..Il devient chef-pilote du secteur Europe et effectue le vol de livraison à la SABENA du premier Convair 240.

 Son prestige ainsi que sa maitrise du pilotage sont unanimement appréciés et font de lui le pilote attitré de la Famille Royale.

 La consécration ultime est la publication en 1952 d'un ouvrage, dont le titre «  Illusions Sensorielles de l'Aviateur », évoquant les différents phénomènes optiques qui sont à l'origine de nombreux accidents en phase d'atterrissage. La prestigieuse Flight Safety Foundation de New-York, sensibilisée par la rigueur de cette étude et par la formation autodidacte de Cocquyt, lui attribue en 1952 le trophée pour la meilleure contribution de l'année à la sécurité aérienne tandis que la Fédération Aéronautique Internationale lui dédie le prestigieux diplôme « Tissandier » l'année suivante. A son retour, la commune de Schaerbeek, où il réside avec son épouse et ses deux enfants, l'invite pour une réception officielle et le nomme citoyen d'honneur.

 Le 25 novembre 1953 survient le malheureux accident du DC4 OO-CBH à l'aéroport d'Amsterdam. Venant de Copenhague, l'avion atterrit par mauvais temps; après avoir roulé quelques centaines de mètres sur la piste, le train d'atterrissage se rompt tandis que l'avion continue à glisser sur le ventre; les dégâts sont limités mais la responsabilité de Cocquyt est engagée entrainant le retrait temporaire de sa licence de pilotage. Afin de le consoler un tant soit peu, la direction de la SABENA nomme Prosper Cocquyt -qui a à son actif plus de 21000 heures de vol-, chef-pilote honoraire attaché à la direction du service hélicoptères et la médaille d'Officier de l'Ordre de Léopold lui est attribuée.

 Meurtri tel un oiseau auquel on arrache les ailes, Prosper se donne la mort le 22 octobre 1954 et l'aviation civile belge perd ce jour une de ses figures les plus sympathiques.