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Le Lisunov Li-2 Cab ou DC-3 soviétique.

Michel Anciaux - Septembre 2016

 Que l’on soit un spécialiste, un amateur ou encore un simple novice dans le domaine de l’aviation, on aura tous en tête le fameux Douglas DC-3 ou sa version militaire le Douglas C-47 qui, depuis la fin des années 30, a participé à tous les conflits du 20ème siècle et, à travers son descendant le DC-3 Turbo, continue de mener, notamment, des opérations anti-drogue ou contre insurgent en Amérique central et du Sud; sans compter les vols commerciaux habituel. Il y a même des DC-3 Turbo qui relient le Sud du Chili avec le continent Antarctique et de ce fait, la Fuerza Aéréa de Chile a montré son intérêt dans l’achat possible de 2 ou 3 appareils de cette version.

Une littérature ample et complète existe sur cet avion et nous permet de revivre ses moments de gloire sous toutes les latitudes.
Par contre, il serait bon de rappeler que ce même Douglas DC-3 devait donner naissance au Lisunov Li-2 russe ainsi que le Showa/Nakajima L2D japonais.
Si, hélas, il n’existe plus aucun exemple de la version japonaise, que ce soit dans un musée de la guerre ou encore un des nombreux musée de l’aviation, il en est tout autre pour la version russe dont un exemplaire aux couleurs de la compagnie hongroise Malev est, à ce jour, encore en état de vol et participe à différents meetings aérien. Sans compter les exemplaires préservés dans les musées des pays qui l’ont exploité.
 Il y avait bien un Lisunov volant en Russie mais hélas il a été détruit dans un accident au décollage en juin 2004. J’avais eu l’occasion de le voir et de pouvoir le visiter, en aout 1995, lors du meeting de Zhukovsky.
J’ai aussi eu la possibilité de visiter le Lisunov hongrois lors de sa présentation au salon ILA Berlin Air show en juin 2016.

Si, à première vue, on pourrait être en présence d’un DC-3/C-47, une étude plus approfondie nous permet de faire la différence entre les 2 avions.

 

 En effet, ce qui distingue le Lisunov est avant tout l’emplacement et la dimension de ses portes.
Le DC-3 aura une porte passager à gauche du fuselage (les premières versions l’avaient à droite) et le C-47 est équipé d’une double porte cargo, aussi à la gauche du fuselage.
Il n’en va pas de même pour le Lisunov qui aura une porte passager à la droite du fuselage et une porte cargo, plus petite et située près du bord de fuite de l’aile gauche de l’avion et s’ouvrant vers le haut.
Une étude du train d’atterrissage montre aussi des différences entre les 2 avions.
Les puristes nous feront remarquer les différences dans les mesures mais celles-ci sont trop minimes pour pouvoir être remarquée à l’œil nu. Elles sont le résultat des conversions des mesures américaines en système métrique.
Enfin, et pas des moindre, est la différence dans la motorisation. Si pour le Lisunov on parle de moteur radial russe Shvetsov ASh-62IR, celui-ci n’est en fait rien d’autre que le développement du Wright R-1820 Cyclone construit sous licence par les soviétiques sous la désignation Shvetsov M-25.
Le Wright R-1820 Cyclone équipa le prototype du Douglas DC-1, les Douglas DC-2 de même que les premières versions du DC-3.
La liste des avions ayant été équipés de ce moteur est bien longue mais citons comme même le Boeing B-17 et le Boeing 307, le Curtiss AT-32-A Condor et le Curtiss SBC-4 Helldiver, le Douglas DC-5 et le Douglas SBD Dauntless, le Grumman HU-16 Albatross, et le Grumman S-2 Tracker, le North American T-28B/C/D Trojan et enfin l´hélicoptère Sikorsky S-58/HUS/HSS/H-34.
Les versions actuelles, encore en état de vol, du DC-3/C-47 sont, pour la plupart, équipées du moteur Pratt & Whitney R-1830-92; la différence entre les blocs moteurs des deux avions est bien marquante.

 L’histoire des origines du Lisunov Li-2 est intéressante et bien singulière.
Déjà au début des années 30, l’Union Soviétique observait, avec un intérêt certain, les développements techniques de l’industrie aéronautique américaine et plus particulièrement le constructeur Douglas qui avait fait voler son prototype DC-1 et travaillait sur la version améliorée de celui-ci, le DC-2.
L’objectif des autorités soviétiques était d’améliorer les développements de leurs propres projets quitte à copier les innovations et nouvelles technologies des pays bien établis dans ce domaine.
De ce fait, un avion DC-2 avait été acheté en aout 1935 auprès d’une compagnie russe d’exportation établie à New York et envoyé par bateau en Union Soviétique.
S’en suivit une période d’essais et d’analyse de la machine ; le rapport envoyé aux autorités compétentes suggérait la production en URSS du DC-2 tant pour la compagnie aérienne nationale Aeroflot que pour les forces armées, en obtenant la licence de construction et l’assistance technique nécessaire.
Sans trop entrer dans les détails relatifs au suivit de ce programme, il est à noter que Aeroflot montrait déjà un intérêt certain dans le modèle DC-3, version plus performante, et donc le 15 juillet 1936, un accord fut signé avec la firme Douglas de Santa Monica pour l’obtention des droits, pour l’Union Soviétique, de produire sous licence le Douglas DC-3.
Il est à rappeler que 18 DC-3 avaient été commandés le 11 avril 1936.
Suite à l’accord signé avec la Douglas, Boris Lisunov, ingénieur en chef dans l’usine d’assemblage n°39 de Kharkov, fut envoyé, en novembre 1936, à Santa Monica afin d’adapter les procédés de production sous licence du DC-3. Il se chargea de documenter, traduire et adapter tous les manuels, plans, pièces de l’avion proprement dit et instruments de mesures utilisés.
Apres son retour en Union Soviétique, Lisunov se chargea de la conversion proprement dite du DC-3 aux fins de démarrer la production de l’avion. Pour cela il fut nécessaire de convertir les mesures des plans et documents en système métrique, entrainant dès lors de légère différences. Il fut aidé dans ce laborieux travail par Vladimir Myasishchev, qui l’avait accompagné en Californie.
Pour la petite histoire, le cas devait se répéter bien des années plus tard, mais dans l’autre sens, lorsque Fairchild obtint la licence de construction pour le Fokker F-27. Le résultat étant que les pièces Fokker n’étaient pas compatibles sur les Fairchild F-27 et F-227

Les DC-3 russes furent construits par l’usine n°84 à Khimki près de Moscou et furent dénommés PS-84 (Passazhirskiy Samolyot 84- avion de transport passager 84, en référence à l’usine de production n°84). Boris Lisunov en était le directeur technique.
Des quelques changements au modèle DC-3 prévus initialement, 1 293 modifications et adaptations furent finalement réalisés sur les pièces originales, dimensions et matériaux utilisés ; tout cela venant de la conversion en système métrique afin de se conformer aux standards soviétiques. D’autres modifications permirent aussi l’adaptation de trains d’atterrissage équipés de ski, permettant dès lors les opérations en zone arctique, ainsi que des volets amovibles de protections des entrées d’airs des moteurs afin de supporter les températures extrêmes.
Les premier PS-84 sortirent des chaines de productions en 1939 mais suite à l’invasion allemande de juin 1941, la production des PS-84 fut transférée à Tachkent. 237 PS-84 avaient été assemblés, tous dans la version civile ; suite à ce transfert, la production reprit en janvier 42.
Le 17 septembre 1942, l’avion, dans sa version équipée du moteur Shvetsov ASh-62 de 1200 ch. fut rebaptisé Lisunov Li-2 afin d’honorer l’ingénieur Boris Lisunov.

Une de ses premières participations à un conflit armé fut la guerre avec la Finlande mieux connue sous le nom de « Guerre d’hiver » qui éclata en novembre 39. Les PS-84 furent utilisés comme transport de troupes et rapatriement des blessés.
Mais c’est durant la seconde guerre mondiale qu’il devait montrer tout son potentiel et ses capacités. On l’utilisa tant comme avion-cargo, que transport de troupes ou avion ambulance, sans oublier les missions de bombardement, en emportant jusqu’à 4 bombes de 250 kg sous les ailes
Certaines versions militaires était équipées d’une mitrailleuse ShKAS de 7.62 mm, ou encore d’une UBK de gros calibre, 12.7 mm, sous tourelle.
Il gagna ses lettres de noblesse notamment lors du pont aérien de Leningrad en Septembre 1941 afin de contrer les attaques allemande de même que dans les missions de bombardement et transport lors de la bataille de Koursk entre le 5 juillet et le 23 août 1943. Notons aussi sa contribution à la bataille de Stalingrad.
Un total de 4 937 avions PS-84/Li-2 fut produit entre 1939 et 1954 sous différentes version : avion de ligne, avion-cargo, transport militaire, avion de reconnaissance, photographie aérienne, parachutage, laboratoire volant et la version la plus singulière de bombardier.

Apres la fin du conflit, des Lisunov Li-2 furent versé dans les forces aériennes des pays membres du Pacte de Varsovie ou encore les pays amis tel que la Chine, le Vietnam et la Corée du Nord, pour n’en citer qu’une partie.
Ils permirent, tout comme leur homologue américain DC-3/C-47, le redémarrage des lignes commerciales de ces mêmes pays, au lendemain de la guerre 40-45.

Le constructeur russe Ilyushin avait déjà entamé dès la fin 1943 l’étude d’un remplaçant possible au vénérable Lisunov et l’Il-12 effectua son premier vol le 15 aout 1945.
Il s’agissait d’un bimoteur à train d’atterrissage tricycle et capacité pour 27 passagers.
Les premiers vols commerciaux débutant en juin 1947.
L’Ilyushin Il-14 fut une autre proposition de remplacement du Lisunov Li-2 mais aussi de L’Il 12 dont il était une version plus performante, réalisant son premier vol le 1 octobre 1950.

Un seul Lisunov Li-2 est encore en état de vol et participe à différents meetings aériens tant en Hongrie, son pays d’immatriculation, que lors d’autre rencontres aéronautiques européennes.

Cet avion est immatriculé HA-LIX et porte les couleurs de la compagnie nationale hongroise Malev
En nous basant sur son numéro de construction 18433209 on peut en déduire qu’il s’agit du 9èm exemplaire de la série 332  produit en 1949 par l’usine 84 de Tachkent.
Il est transféré ultérieurement à la force aérienne hongroise qui l’utilise jusqu’en 1958, volant ensuite sous les couleurs de la Malev jusqu’en 1964 pour être ensuite à nouveau transféré aux forces armées hongroise et ce jusqu’à son retrait du service en 1974. Il est ensuite exposé sur la base aérienne de Szolnok.
Suite à un accord passé avec le ministère de la Défense et le musée d’histoire de la guerre, l’avion est confié à l’organisation Goldtimer qui, après plus de 30.000 heures de travail de restauration, remet la machine en état de vol, il effectue son premier vol post restauration le 21 septembre 2001.

 

 Le Lisunov, qui opérait en Russie jusqu’à son regrettable accident le 26 juin 2004, était le n° de série 23441605 soit le 5è avion produit dans la série n°416 de l’usine n°34, réalisant son premier vol en 1952 comme 03 rouge DOSAAF. Il fut retiré du service en 1972 avec un total de 6587 heures.
Restauré par les membres de la FLA (fédération des enthousiastes de l’aviation) il réalise son premier vol post restauration le 13 novembre 1992 et c’est sous l’immatriculation RA-1300K et les couleurs de Global Edge qu’il est détruit dans un accident, au décollage de l’aérodrome de Moscou-Myachkovo.


Une monographie bien complète est parue dans une édition du "Fana de l’aviation" et a été une grande aide pour la réalisation de ce travail.