Vous êtes ici : Reportages - 2011 - Remise d'ailes 

Turbulences pour le Rafale…

Serge Nemry - Novembre 2011

 Les temps sont durs pour Dassault. Mercredi 30 novembre, le Conseil Fédéral (gouvernement) Suisse optait pour l’acquisition de 22 Gripen NG d’une valeur de 3,1 milliards de Francs suisses, soit plus de 2,5 milliards d’Euros ou 100 milliards 825 millions d’anciens Francs belges. Ces 22 avions qui seront équipés d’un nouveau moteur produit par Général Electric sont destinés à venir remplacer les Northrop F-5 vieillissants. Pourtant, il s’agit d’une décision très controversée tant sur le plan militaire que sur le plan politique. L’Aviation Militaire Suisse avait porté son  choix sur le Rafale, considéré comme le plus performant des trois candidats mis en compétition depuis 2008, le Gripen se classant  bon dernier. Cette décision en faveur du chasseur de SAAB  est dictée essentiellement par des critères financiers et de compensations, le Gripen s’avérant moins coûteux tant à l’acquisition qu’à l’entretien. Le prix d’achat d’un Gripen est évalué aujourd’hui à quelques 50 millions d’Euros, contre 110 millions pour le Rafale : du simple au double ! Précisons que ce prix d’achat s’entend pour un appareil ‘’ nu’’, sans pièces de rechange ni armements. Depuis Berne, le Conseil Fédéral précisait il y a quelques jours : « que cette décision permet d’acquérir un avion performant sans compromettre d’autres domaines de l’armée ni leurs équipements indispensables et, que les compensations attribuées à l’industrie suisse atteindrons les 100% ». Ce contrat n’est pas encore signé, le projet doit encore être porté devant le Parlement qui doit avaliser cette nouvelle dépense (prévue au budget, voir notre article BREITLING Sion Airshow d’octobre) et là, le débat politique risque de s’enflammer, chaque canton ayant son favori. Déjà la presse s’est déchaînée ; un quotidien  annonçant ‘’une plantée programmée ‘’ (Tages Anzeiger ), un autre ‘’ que l’armée ne voulait pas le moins cher mais le plus performant’’ (Bund) ou encore ‘’c’est le choix d’un break sans option plutôt qu’une rutilante berline’’ (L’Express et La Liberté). L’Aargauer Zeitung annonce  que le front composé du Groupe pour une Suisse sans Armée (GScA) et la gauche obtiendront un vote populaire sur ce dossier, un vote qui fera sûrement capoter le projet. Chose peu courante chez nous,  pour tenter de s’attacher les faveurs du public qui pourrait donc  être appelé à donner son avis par référendum, les trois compétiteurs se sont engagés dès le début de l’évaluation suisse dans une campagne publicitaire démesurée, y engageant des budgets colossaux. Affiches géantes, publicités dans les grands quotidiens et spots télévisuels vantent les performances de leurs appareils respectifs ; lors du Breitling Airshow, les stands de SAAB et EUROFIGHTER débordaient de documentation destinée au grand public. Notons que le GRIPEN  est déjà un succès à l’exportation, utilisé par les forces aériennes suédoises, tchèques, hongroises, sud-africaines et thaïlandaises. D’autre part, l’Empire Test Pilots’School britannique exploite également des Gripen dans le cadre de l’entraînement de pilotes d’essai  pour le monde entier. La Force Aérienne Suédoise a participé à Unified Protector en Lybie opérant au départ de Sigonella en Sicile. Cinq Gripen en version de reconnaissance étaient engagés et ont totalisé 650 missions et plus de 2.000 heures de vols ,150.000 clichés ont été tirés.

  Dans le Golfe Persique, ce sont les Emirats Arabes Unis qui remettent en question l’acquisition du Rafale. Ici aussi aucun contrat n’était  encore signé à l’heure d’écrire ces lignes alors que le Président français Nicolas Sarkozy et son ministre de la Défense,  Gérard Longuet, croyaient vraiment que c’était dans la poche. C’est le Cheik Mohamed Ben Zayed, prince héritier et Ministre de la Défense,  qui lors du salon Aéronautique de DubaÏ a  lancé un fameux pavé dans la marre en annonçant qu’il faisait appel au consortium EUROFIGHTER pour étudier plus en détails le Typhon. Pour lui, bien que le Rafale soit considéré comme le ‘’premier choix’’, politique et diplomatie ne peuvent faire passer les conditions commerciales non compétitives et irréalisables de Dassault.  Aux Emirats, le contrat doit porter sur l’achat de 60 appareils. Une nouvelle victoire à mettre à l’actif du consortium Eurofighter qui a mis en œuvre des Typhoon en Grande-Bretagne, en Italie, en Allemagne, en Autriche et en Arabie Saoudite.

 C’est essentiellement pour les mêmes raisons économiques que le Koweït porte toute son attention sur le Gripen et envisage l’acquisition de 12 appareils de la version NG. Au-delà des considérations purement économiques, ce petit pays en superficie (17.800 km²) préfère opter pour un avion adapté à sa situation d’autant qu’il n’intervient pas en dehors de ses frontières. En effet, dit-on là-bas, pourquoi acquérir un avion aussi  coûteux - en termes d’achat et d’exploitation - que le Rafale alors qu’un appareil du type Gripen est largement suffisant. Les conditions commerciales de Dassault sont également mises en cause face à la politique tarifaire et compensatoire agressive de SAAB. Mais cela ‘’sent’’ également la revanche. Souvenez-vous lors de la guerre du Golfe en 1990, la France avait refusé de livrer des pièces de rechange et des munitions pour les Mirage F-1 que l’aviation Koweitienne avait réussi à mettre à l’abri en Arabie Saoudite. Néanmoins, nous sommes certains que le ‘’dogfight’’ va se poursuivre du côté de Dassault qui à ce jour n’a pas encore exporté un seul appareil du type Rafale. D’autant plus que cet avion a prouvé ses capacités lors de l’opération Harmattan en Libye. Engagées à des degrés divers, l’Armée de l’Air et l’Aéronautique navale peuvent se targuer de beaux succès dans des missions aussi diverses que les destructions d’objectifs au sol, la supériorité aérienne et la reconnaissance (Nacelle Reco NG et pod Damoclès). Autant de preuves des capacités multi rôles du fer de lance français, porté au standard F3, qui a pour la première fois mis en œuvre en mars le missile de croisière Scalp(Storm Shadow au sein de la Royal Air Force) d’une portée de 550 km. D’autres marchés restent ouverts tant en Europe (essentiellement de l’Est) qu’en Asie et en Amérique du Sud ; les plus chauds pour le Rafale étant actuellement le Brésil et l’Inde. Aux trois constructeurs déjà cités, vient s’ajouter, pour ceux qui disposent de gros moyens, le F-35 Lightning II de Lockheed Martin à + de 115 millions de dollars/pièce -  le Canada en a commandé 60 exemplaires ! Check Six, les commerciaux de Serge Dassault appuyés par la diplomatie française très présente dans les cas difficiles, n’ont pas dit leurs derniers mots. Il en va de la survie de la chaîne d’assemblage de l’avionneur français.