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Une étoile se pose à l'Ecole Royale Militaire.

Serge Nemry

Mardi 23 novembre 2010, 18 h00, l'Ecole Royale Militaire reçoit la visite d'un ancien élève qui a eu l'immense privilège de côtoyer les étoiles. Et ce visiteur de prestige n'est autre que le Vicomte, Général de brigade Frank De Winne mieux connu du grand public depuis ses voyages dans l'espace(2002 et 2009) et sa prise de commandement de la Station Spatiale Internationale ISS l'année dernière. Cette soirée, à laquelle participaient de nombreux quinquagénaires et plus - dont et c'était de circonstance, quelques étoilés… anciens élèves de l'école, ainsi que de nombreux jeunes officiers et sous-officiers élèves ou en activité, des quatre composantes de notre armée (mais il y avait beaucoup de bleu !) -, se divisait en trois parties. En début de soirée, un entretien ‘'privé'' avec dix-neuf étudiants en humanité, suivi de la présentation d'un film sur sa dernière mission OasISS agrémentée d'un temps dévolu aux questions/réponses et en clôture une réception, le tout en présence du Général-Major Harry Vindevogel patron de l'ERM.

 Des étoiles plein les yeux

 Les dix-neuf étudiants néerlandophones et francophones bénéficiant de cette rencontre privilégiée avaient été sélectionnés au travers d'un concours organisé sur le site Internet de l'ERM. Trois questions étaient posées dont les réponses se trouvaient, en cherchant un peu, sur le site même; une question subsidiaire pour départager les ex aequo et voilà donc les heureux élus invités à s'entretenir en tête à tête avec Frank. Si dans un premier temps les élèves faisaient preuves de timidité, l'ambiance s'est vite relâchée grâce à l'humour et la décontraction de l'invité du jour. Nous vous livrons ci-dessous les réponses données à quelques questions posées par les étudiants et les invités.

 Comment êtes vous arrivé à l'ESA ? J'ai toujours rêvé d'aller dans l'espace et était prêt à tous les sacrifices pour y arriver. Fort de mon expérience de pilote et d'ingénieur civil auquel s'ajoute ma qualification de pilote d'essais, j'ai envoyé en 1991 mon CV, et le gouvernement belge l'a présenté à l'ESA qui recherchait de candidats dans le cadre des programmes Colombus-Hermès de vols spatiaux habités. Sept ans plus tard je suis devenu officiellement membre du corps d'astronautes de l'ESA. J'ai ensuite été sélectionné pour suivre depuis le centre Youri Gagarine, à la cité des étoiles de Moscou les différentes phases d'entraînement qui précèdent une sélection définitive pour participer à une mission dans l'espace, dont un exercice de ‘'survie'' très marquant. Ensuite, ayant obtenu la qualification d'ingénieur de bord sur vaisseau Soyouz, j'ai eu la chance, grâce à ma persévérance et mes capacités, d'être retenu pour la mission OdiSSea –Soyouz TMA-1/ Soyouz TM-34 lors du vol taxi n°4 vers l'ISS pour y amener le nouveau vaisseau de sauvetage. J'ai donc effectué le vol aller le 30 octobre sur le dernier modèle Soyouz et le retour le 10 novembre sur l'ancien qui était amarré à la station.
 Précision qui a son importance, le vol de Frank a été financé par les Services Fédéraux belges des Affaires Scientifiques, Techniques et…Culturelles.

Et pour votre second vol, comment cela s'est il passé ? En février 2008 j'ai été désigné comme ingénieur de vol pour faire partie de l'expédition 20, une mission de longue durée à bord d'ISS. En 2009 je me suis envolé à bord de Soyouz TMA15 en compagnie du cosmonaute russe Roman Romanenko et de l'astronaute canadien Robert Thirsk pour rejoindre l'ISS et y assurer une mission de longue durée. C'était en fait la première fois que la station était habitée pendant six mois par une équipe permanente de six astronautes. Avec mes collègues nous avons assuré l'agrandissement et la maintenance du segment japonais de la station. Le matériel nécessaire ayant été amené par le vaisseau de ravitaillement HTV-1 lancé depuis le Japon et amarré à ISS. Du 09 octobre jusqu'à fin novembre, j'y ai assumé le rôle de commandant de bord en remplacement du cosmonaute russe Guena Padalka qui quittait la station. Je suis donc devenu le premier 'patron' non américain et non russe de l'ISS ! Un commandement essentiellement voué au maintien d'une bonne ambiance de travail à bord de la station. Il faut savoir qu'à bord d'ISS tout notre travail est méticuleusement organisé par la station de contrôle au sol. Au niveau des expériences et opérations techniques, il faut suivre à la lettre les procédures imposées par les ingénieurs au sol ; pas question d'en déroger et de prendre des initiatives. Le matin, au lever, il faut relever les instructions de travail affichées sur l'ordinateur et les exécuter à la lettre. Régulièrement nous sommes appelés à faire le bilan des réalisations en cours.

Votre expérience de pilote vous a-t-elle aidé? Bien sur, la formation de pilote militaire permet d'acquérir une expérience importante tant sur le plan humain que dans le domaine du vol et de la technique. Au sein de la Composante Air vous apprenez à vivre et à travailler en équipe, une chose qui s'avère essentielle dans l'espace confiné de la station ISS. Nous étions là 24heures sur 24 et pour six mois. De plus, ma période de commandant de la 349ème escadrille à Kleine-Brogel m'a aguerri au ‘'ficelles ‘' de leader d'un groupe, ce qui une fois encore s'est avéré important lorsque j'ai pris le commandement de l'ISS. Enfin, l'expérience acquise lorsque j'étais commandant du détachement belgo-hollandais à Amendola m'a également été bénéfique.  Il faut préciser que la fonction de commandant de la station ISS est essentiellement à vocation sociale. En tant que commandant de la station, mon rôle consistait à créer et maintenir une bonne ambiance permettant de travailler dans les meilleures conditions. L'individualisme n'a pas sa place à bord, il s'agit réellement d'un travail d'équipe, chacun dépendant de l'autre. Lorsque j'ai repris les rennes de l'ISS, j'ai rapidement invité tout le monde à prendre tous les repas en commun, c'était pour moi essentiel. Cela nous a alors donné l'occasion de bonnes parties de rigolade; une bonne manière d'évacuer le stress. Nous ne manquions pas de fêter chaque événement qui le méritait, tel un anniversaire ou la fête des pères. A d'autres moments, l'ambiance était à la détente comme lorsqu'un de mes collègues a battu le record du monde de 'pompes' ...en apesanteur s'entend. Mais aussi quand nous nous sommes rendus compte que nous avions choisi comme coiffeur un ancien 'marines' adepte des 'boules à zéro'. Ces moments de relaxations étaient important dans ce contexte de proximité permanente.

Quelle langue parliez-vous à bord de Soyouz ? A bord de Soyouz nous nous exprimions essentiellement en russe, mais l'anglais est également utilisé. En fait lorsque je parlais en russe à un collègue il me répondait bien souvent en anglais et vice versa. J'ai appris le russe, une langue très difficile à assimiler, mais j'y suis arrivé avec l'aide d'un professeur particulier. Toute ma formation s'est faite en russe et j'ai passé tous mes examens dans cette langue. Toutes les sessions d'entraînement à bord des simulateurs se font en russe avec des manuels en russe ! A bord de l'ISS c'est l'anglais qui primait.

Qu'est ce qui vous a le plus marqué lors de vos vols dans l'espace ? Une image restera à jamais
marquée dans mon esprit, celle de l'état de la planète telle que laissée aujourd'hui par l'homme. La pollution est visible partout, une véritable catastrophe pour laquelle malheureusement les gouvernements n'agissent pas assez, les actions d'envergures nécessaires pour freiner un temps soit peut cet état de fait ne sont toujours pas prises. Je peux vous assurer que vu de là haut les effets dûs au réchauffement de la planète ce n'est pas du bidon !


Oui mais vous avez été pilote de chasse et un avion cela pollue aussi ? Cela est vrai, mais il faut savoir qu'au niveau de l'industrie aéronautique tout est mis en œuvre pour limiter cette pollution. Les recherches vont vers des moteurs de plus en plus propres et la recherche en carburant de substitution progresse, lentement mais progresse. D'autre part je peux vous assurer qu'à la Force Aérienne tout est mis en œuvre pour réduire au maximum la pollution au travers de règles opérationnelles très strictes que ce soit au sol ou en vol; la protection de la nature est une préoccupation permanente sur toutes nos bases.

Pensez-vous retourner dans l'espace ? Non ce ne sera plus possible; j'ai 49 ans et je ne serai plus retenu pour un prochain vol. Ma mission est maintenant d'assurer la promotion de l'ESA et d'apporter le fruit de mon expérience et mes compétences aux jeunes candidats. 

Y aura t‘il encore un belge dans l'espace bientôt ? Pas avant au moins dix à quinze ans, l'ESA à six nouveaux candidats dont la formation s'est terminée hier 22 novembre par la remise des diplômes faisant d'eux des astronautes à part entière. Hélas, parmi eux il n'y a pas de belge. Ces six futurs voyageurs de l'espace sont : Samantha Cristoforetti (Italie), Alexander Gerst(Allemagne), Andreas Morgensen (Danemark), Luc Parmitano (Italie), Timothy Peake (Royaume-Uni) et Thomas Paquet (France). Tous présentent un curriculum vitae des plus impressionnants.

Lors de la sympathique réception qui suivit, nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec quatre des jeunes étudiants, invités privilégiés. Heureux hasard pour l'auteur, Marie, Gerlando, Louis et Maxime ont tous quatre pour objectif d'intégrer l'Ecole Royale Militaire et de tenter la formation de pilote de chasse ! Motivés ils le sont assurément, tous sont membres des Cadets de l'Air, ils ont été lâchés solo sur planeur cet été. Avec de telles recrues et une motivation sans faille, la relève de notre Force Aérienne est certe assurée. Ils vont se présenter aux examens d'admission en janvier 2011. La rédaction de THE FLYING ZONE souhaite aux quatre candidats un avenir militaire et aérien brillant et pourquoi pas pour l'un d'entre eux un petit tour dans l'espace.

De la Force Aérienne à l'ESA, du Marchetti à Soyouz

Frank De Winne, anobli au titre de Vicomte en 2002 par le Roi Albert II après sa première mission dans l'espace, a également été élevé au grade de Général de Brigade, consécration d'une belle carrière à la Force Aérienne belge. Diplômé de l'Ecole Royale des Cadets de Lierre en 1979, ou il entra à l'âge de 15 ans…il intègre la promotion 134 POL (Polytechnique) de l'Ecole Royale Militaire et y obtient le titre d'ingénieur civil assorti d'une maîtrise en télécommunications. Cerise sur le gâteau, il reçoit grâce à sa thèse de fin d'études le prix de l'AIA, décerné par l'Association Royale des Ingénieurs Civils issus de la Faculté Polytechnique de l'ERM. Il entame en 1985 une formation de pilote militaire et obtient ses ailes un an plus tard avec la promotion 83B. Il effectue alors une conversion sur Mirage 5 au sein de la 8ème escadrille et est lâché solo le 16 avril 1986 (solo n° 362). Trois ans plus tard, il est détaché chez Sagem France et y prépare les spécifications opérationnelles et techniques destinées à améliorer la sécurité des Mirage5 .Il quitte l'escadrille à la Cocotte bleue le 24 novembre 1989. Deux ans plus tard, sa candidature astronaute est retenue par la délégation belge de l'ESA. Après avoir suivi une formation de haut niveau au sein de l'Empire Test Pilot School de Boscombe Down en Angleterre, il obtient en 1992 son diplôme de pilote d'essais et le trophée Mc Kenna. En décembre il devient pilote d'essais à la FAé. Il effectue dans ce cadre depuis Gosselies des vols de réceptions d'appareils sortant des ateliers de la SABCA et procède à la mise en œuvre d'un programme d'auto protection des C-130. Depuis Eglin Air Force Base aux Etats-Unis il est impliqué dans l'évaluation du système de contre mesures électronique CARAPACE pour les F-16.Début 1994, il entre en fonction à Beauvechain ou il devient officier de sécurité aérienne du 1er Wing. Un an plus tard, il s'envole pour la Californie et Edwards AFB ou il devient pilote d'essais pour l'European Participating Air Forces, il y participe à divers programmes de modernisation des F-16 dont l'amélioration du radar. Nommé pilote d'essais senior, il est intégré au sein du département Test et Evaluation de la FAé où il reçoit la responsabilité de tous les programmes des essais et des interfaces homme-machine dans la mise à jour des logiciels équipant les avions belges. En 1997, le jeune Major voit son courage et son sang froid récompensés par l'octroi du ‘'Joe Bill Dryden Semper Viper Award'', remis pour la première fois à un pilote non américain. Ce prestigieux trophée, présenté par Lockheed Martin Tactical Aircraft System lui est octroyé après qu'il ait, le 12 février, ramené et posé à Leeuwarden un F-16 qui a subit une extinction moteur ainsi qu'une panne de l'ordinateur de bord et cela par un temps exécrable et au dessus d'une zone très peuplée. Un an plus tard, il prend pour 18 mois le commandement de la 349ème Escadrille du 10ème Wing Tactique basé à Kleine-Brogel. En cette même année, il est nommé Astronaute ESA par Antonio Rodotà directeur général de l'agence. Il est ensuite appelé à prendre le commandement de la Deployable Air Task Force, détachement belgo/hollandais opérant sous contrôle de l'OTAN depuis Amendola, dans le cadre de l'opération Allied Forces menée dans les Balkans. Frank effectuera durant cette période 17 missions de guerre. Pour ses prestations exemplaires, la reine Béatrix des Pays-Bas lui décernera le titre d'Officier de l'Ordre d'Orange Nassau. Le Général de brigade Frank De Winnetotalise plus de 2300 heures de vol sur différents types d'avions dont le Mirage5, le F-16, le Tornado et le Jaguar.

A bord de Soyouz.

En 1991, Frank De Winne est le seul candidat astronaute retenu par l'ESA dans la catégorie 'spaceplane specialist'; sélection enregistrée dans le cadre du programme Colombus-Hermès de vols spatiaux habités. Il est désigné en 1998 pour le corps d'astronautes de l'ESA. Il peut dès ce moment faire preuve de ses compétences dans le support technique des vols habités et de Microgravité à l'European Space Research & Technology Centre de Noordwijk aux Pays-Bas. Il y travaille entre autres au projet de navette X38/CRV étudié conjointement par la NASA et l'ESA. En janvier 2000 il est appelé à Cologne pour y intégrer le Corps des astronautes européens (EAC). Un an plus tard il débute sa formation d'ingénieur de bord du vaisseau russe Soyouz au centre des Cosmonautes Gagarine de la ‘' Cité des Etoiles'' près de Moscou. Il y entame également un entraînement de base axé sur la station ISS. Le 30 octobre 2002, la consécration de ses efforts et l'aboutissement de son rêve sont au rendez-vous, il s'envole à bord de Soyouz pour la mission OdISSea –Soyouz TMA-1/TM-34. Sa mission consiste à aller amarrer le nouveau vaisseau Soyouz TMA-1(A pour Anthropométrique) qui, en cas de nécessité peut servir de vaisseau de sauvetage aux habitants de la station. Après neuf jours à bord de l'ISS et bon nombre d'expériences menées à bien, il rentre à bord de Soyouz TM-34, un vaisseau dont la mise au point date de 1986.En 2005, Frank entame un entraînement préparatoire à une mission de longue durée dans la station ISS, à cette époque, il n'est que réserve de Léopold Eyharts. Trois ans plus tard vient la consécration suprême. Frank De Winne est désigné pour la mission 20 OaISS qui pour la première fois accueillera à bord d'ISS six astronautes et cosmonautes. Le 27 mai, Soyouz TMA 15 est lancé depuis Baïkonour au Kazakhstan; à bord, Frank, le cosmonaute russe Roman Romanenko et l'astronaute canadien Robert Thirsk. Durant cette mission de six mois Frank De Winne prend, le 10 octobre, le commandement de la station en remplacement du russe Guenadi Padalka, rentré au pays…. Il devient ainsi le premier européen à occuper cette fonction. Le 1er décembre Soyouz atterrit près d'Arkalyk au Kazakhstan, mettant fin pour notre célèbre astronaute à six mois d'aventure spatiale.

Nous adressons tous nos remerciements au Général-Major Vindevogel ainsi qu'au service des relations publiques et du protocole de l'Ecole Royale Militaire pour les facilités accordées. Merci à Frank pour sa grande disponibilité malgré les nombreuses sollicitations dont il faisait l'objet en cette agréable et instructive soirée. Un grand merci aussi à Stéphane Lowagie (COA-IPR) pour son aide iconographique précieuse.