Vous êtes ici : Reportages - 2011 - Usine Airbus en Chine 

Pourquoi créer une usine Airbus en Chine ?

Texte et photos : Guillaume Besnard

 

Si l’histoire de l’aéronautique regorge d’audaces et de paris industriels en tout genre, force est de reconnaître qu’Airbus a placé la barre très haute en annonçant la construction d’une usine d’assemblage final en Chine.  Les enjeux de l’installation de cette usine sont très importants, à la fois pour Airbus et pour les chinois.  Cette usine permettra à terme de produire les avions de la famille A320 destinés au marché chinois. Cela suscite légitimement beaucoup d’interrogations : tordons le cou à quelques préjugés et posons-nous les bonnes questions.

L’annonce, en 2006, lors d’un voyage en Chine de Jacques Chirac, Président de la République Française, de la création d’une chaine d’assemblage d’Airbus en Chine, a soulevé de nombreuses interrogations. Pas seulement dans le monde de l’aéronautique, mais aussi et surtout dans celui des acteurs industriels en général. Jusque très récemment, la Chine était en effet considérée comme un « atelier du monde », sous-traitant la production des sociétés occidentales. Seulement, assembler des composants informatiques est une chose, mais construire un avion est une autre histoire. Tout le monde a un jour ou l’autre pesté contre le « Made in China », et le manque de fiabilité de certains produits fabriqués dans le céleste pays. Si un jouet qui se casse en tombant ne met pas la vie de grand monde en danger (encore que), un avion qui perd en vol un réacteur ou une aile suite à un défaut de fabrication, ça fait désordre. C’était, au départ, la principale inquiétude des compagnies aériennes chinoises, destinataires exclusives de ces appareils ; elles ne savent que trop bien ce que les ouvriers chinois peuvent faire de pire.
Malgré les apparences, il faut relativiser : si l’assemblage final aura bien lieu à Tianjin, les quelques 10.000 pièces qui composent un A320 seront fabriquées en Europe et exportées vers la Chine. Drôle d’idée que d’importer des pièces là-bas, mais c’est dans les habitudes d’Airbus que de travailler de la sorte : gageons que l’expérience de l’avionneur en ce domaine sera bénéfique pour mettre en route rapidement les lignes de fabrications et assurer une production industrielle fluide.

Ensuite, il est évident que les chinois ne seront pas mis devant le fait accompli pour la construction. Ils seront suivis par des cadres européens d’Airbus, à tous les niveaux, et ce pendant plusieurs années. L’assemblage d’un avion de ligne ne peut se permettre aucun écart dans les processus de fabrication, car au-delà des contrats remportés et des avions construits, c’est l’image même d’Airbus qui est en jeu. Le constructeur européen ne peut se permettre de remettre en doute sa réputation suite à un accident. Ce que les gens retiendront en cas de crash, ce n’est pas le lieu de construction de l’avion mais son concepteur et la marque qu’il porte : en l’occurrence, Airbus.
Au delà de la qualité, la Chine présente un autre risque à ne pas négliger : l’espionnage industriel. L’Empire du milieu affiche depuis quelques années sa volonté de construire une industrie technologique de pointe et plus seulement d’être un atelier. Le programme spatial chinois, et la mise en orbite du premier taïkonaute en 2008 montrent très clairement que le pays a atteint le niveau technologique suffisant pour fabriquer ses propres avions. Une usine Airbus en Chine apporte directement le savoir faire de fabrication ET l’avion en lui-même. Le reverse engineering, pratique consistant à démonter un produit pour savoir comment il a été fabriqué, prend tout son sens ici. L’ARJ-21, premier programme d’avion civil moderne, montre que la Chine veut se lancer sur le marché des avions civils, même si cet avion est, par son aspect extérieur, une pâle copie du DC-9 américain datant de 1965. Il est donc légitime pour les européens et les dirigeants politiques de se poser des questions, et d’avoir peur que les chinois n se servent de l’usine que pour copier ce que nous avons mis 30 ans à construire et financer à coup d’argent public. De quoi donner des sueurs froides à nos hommes politiques …

Après tout cela, on se dit « mais pourquoi alors, construire une usine là-bas ? »
Il y a plusieurs raisons. La première, c’est que la Chine, c’est 1/5e de la population mondiale. Le boom économique que connaît le pays et sa taille font que ce sont 1,5 milliards de voyageurs potentiels qui vivent actuellement, passagers pour lesquels tout reste à construire. Installer une usine en Chine, c’est donc pré positionner des pions pour quand la demande explosera réellement. Quoi de mieux que de faire valoir son produit quand le pays en question est directement impliqué dans le processus de fabrication industrielle ?  En outre, rien n’interdit de penser qu’à l’avenir, Airbus installe une autre chaîne sur place, où participe de manière active au programme gros porteur dont la Chine veut se doter.
Quelles sont les conséquences pour les usines européennes ?
Contrairement à une idée reçue, cette usine n’est pas une délocalisation : les chaines de production de Toulouse et de Hambourg continuent à tourner à plein régime. C’est plus exactement une augmentation de capacité de production. Certes, ce sont des avions qui ne seront pas assemblés en Europe, mais il n’y a pas de réduction de la capacité industrielle ; de plus, n’oublions pas que les composants sont toujours fabriqués en Europe.
Enfin, concernant les risques industriels. N’oublions pas que l’Airbus A 320 est un concept déjà vieux de 20 ans. Le temps que l’usine de Tianjin arrive à pleine capacité de production, Airbus aura certainement déjà mis en chantier le remplaçant de l’A320. C’est un avion largement répandu et qui a fait ses preuves. Ses technologies, bien que remarquablement encore au goût du jour, commencent néanmoins à accuser leur âge. Au final, si vol technologique il y a un jour, le risque est calculé pour Airbus.  La famille 320 est déjà amortie depuis longtemps, et elle aura alors tous les atouts pour vendre à la Chine son prochain monocouloir, voir son A380, dont le décollage industriel s’assoit lentement mais sûrement.
De plus, l’A320 NEO qui doit succéder progressivement à l’A320 que nous connaissons ne devrait pas être produit en Chine dans un premier temps.

Une chose est sûre, il va être très intéressant de suivre la réponse de Boeing et des autres constructeurs (Embraer notamment) à ce pari osé : de belles luttes en perspectives.